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Mon amie Ghila


Par Dany Laferrière

C’esGhilat l’écrivain Antonio D’Alfonso, un ami commun, qui m’a envoyé un mot gorgé de larmes. La mort de Ghila Sroka m’a atteint à Paris, une ville qu’elle aimait beaucoup, comme elle aimait aussi La Havane, Tanger et Port-au-Prince. Malgré sa longue maladie, je n’avais pas pensé à sa mort. Ce n’était pas son genre de mourir. Je l’ai vue il y a peut-être deux mois à l’Hôpital juif de Montréal, dans un état déplorable. Deux semaines plus tard, elle recevait chez elle quelques amis à dîner. On parlait de tout, sauf d’Israël. C’était sa blessure. Certains s’étaient éloignés d’elle à cause de sa véhémence quand on abordait ce thème brûlant. Je sentais sa souffrance de ne pas pouvoir dire le fond de son coeur. Elle était à prendre ou à laisser, et je l’ai prise telle qu’elle était durant près de trente ans.

Un inconnu aurait tout de suite senti que la mort rôdait autour d’elle, ce soir-là. Sa voix avait changé. Elle était au bout de ce cancer qui la rongeait sans jamais l’empêcher de vivre. Vivre, pour Ghila, c’était recevoir ses amis, lire (livres, journaux, Internet), aller au cinéma, regarder la télé, publier des magazines, organiser des conférences, polémiquer, voyager et retrouver cette solitude studieuse dans cet appartement qu’elle occupait depuis des décennies. Ghila était une intellectuelle toujours en quête d’une bagarre. Elle n’hésitait pas à se brouiller avec ceux qui étaient trop tièdes à ses yeux. J’ai si souvent vu Ghila à l’article de la mort que je n’ai pas compris que c’était notre dernière conversation.

Notre première rencontre a eu lieu en novembre 1985, au Salon du livre de Montréal. J’ai vu arriver vers moi une femme radieuse et colorée. Elle s’est mise à me parler à haute voix sans se soucier des gens qui attendaient que je signe leur livre. Elle m’expliquait qu’elle allait faire de moi une star de la littérature mondiale. Ce qu’elle a écrit dans un article qu’elle m’a consacré un mois plus tard. J’ai tout de suite capté l’étrange personnalité de Ghila comme j’ai compris aussi qu’elle avait des qualités qui équilibraient ses extravagances. En effet, très peu de gens possèdent une pareille énergie. Ghila aurait pu épuiser une société entière. Clouée au lit, elle continuait à argumenter avec ceux qui ne partageaient pas son avis, surtout sur les questions politiques.

Mais sa loyauté était telle que j’avais l’impression que si j’étais pris en otage quelque part dans le monde, elle se serait pointée à l’endroit où j’étais séquestré pour engueuler mes gardiens de telle manière que ces derniers se seraient dépêchés de me libérer. Comment résister à une pareille nature ? Je suis sûr que même ceux qui la trouvaient « difficile » ne pourront ignorer ce léger pincement au coeur à ne plus voir, au premier rang de toutes les manifestations culturelles de Montréal, cette pasionaria aux multiples chapeaux colorés. Je ne sais pas où elle est maintenant, mais je suis sûr que deux camps se sont déjà formés autour d’elle : ceux qui l’aiment et ceux qu’elle exaspère. Je me range dans le premier camp.

Dany Laferrière candidat à l’Académie française


Hormis son activité littéraire, Dany Laferrière est également scénariste et réalisateur.
Photo : Pedro Ruiz – Le DevoirHormis son activité littéraire, Dany Laferrière est également scénariste et réalisateur.
L’Académie française, à l’issue de sa séance du 24 octobre, a annoncé trois candidatures au fauteuil d’Hector Bianciotti (fauteuil 2), décédé en juin 2012. L’écrivain québécois d’origine haïtienne Dany Laferrière est l’un d’eux. Les deux autres candidats sont les auteurs Arthur Pauly et Jean-Claude Perrier.
Comme le veut le protocole, Dany Laferrière a envoyé sa lettre de candidature à
Hélène Carrère d’Encausse, qui occupe le poste de secrétaire perpétuel de l’Académie, afin de postuler au fauteuil d’Hector Bianciotti. Enthousiaste, le quotidien français Le Figaro note : « C’est une candidature de poids et un profil rare que vient d’enregistrer l’Académie française. » L’élection se tiendra le 12 décembre.

À ce jour, Dany Laferrière a publié une vingtaine de romans, recueils et essais, ouvrages volontiers autobiographiques.

En 2009, son roman L’énigme du retour lui vaut le prestigieux prix Médicis. Dans cette œuvre intime, l’auteur revient sur son retour en Haïti dans la foulée du décès de son père, ce dernier exilé autrefois par « Papa Doc ».

Après la parution en 2013 de Journal d’un écrivain en pyjama, Dany Laferrière préside en Haïti des rencontres littéraires visant à créer des ponts entre les écrivains haïtiens et québécois tout en faisant découvrir la littérature québécoise là-bas.

Né à Port-au-Prince le 13 avril 1953, Dany Laferrière s’installe à Montréal en 1976, craignant d’être sur la liste des journalistes à abattre tenue par les Tontons Macoutes. Cumulant divers boulots, notamment en usine, Dany Laferrière publie en 1985 son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. À la même époque, il apparaît à la télévision comme critique et chroniqueur culturel. Au cours des années 1990, il demeure une personnalité médiatique appréciée, tandis que sa réputation en tant qu’auteur continue de croître.

Hormis son activité littéraire, Dany Laferrière est également scénariste et réalisateur. Il a lui-même adapté pour le cinéma Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, réalisé en 1989 par Jacques W. Benoît. En 2005, le cinéaste français Laurent Cantet a porté trois de ses nouvelles au grand écran avec Vers le sud, qui met en vedette Charlotte Rampling et Louise Portal.

Source: Ledevoir.com