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Survivances africaines dans la culture haïtienne : tchwipe et koupe kout je


Par Hugues Saint-Fort

Poursuivant inlassablement le travail de vulgarisation de la science linguistique, ainsi que de la culture et de la langue créoles que je mets à la disposition de mes compatriotes depuis plusieurs années maintenant, j’aborde aujourd’hui deux aspects des survivances africaines dans la culture haïtienne : il s’agit de deux gestes/mots naturels pratiqués tous les jours par les Haïtiens de toutes les couches sociales en Haïti et dans l’émigration. Ils représentent à mon sens des témoignages remarquables de l’héritage africain dans notre culture créole. Ce sont, parmi d’autres, des survivances africaines dans la culture haïtienne.  Cet article est une description des mots/gestes kreyòl : tchwipe et koupe kout je, une recherche de leurs origines africaines et une analyse de leur disponibilité/usage dans les cultures créoles de la Caraïbe.

Introduction à la description de tchwipe et koupe kout je

Pendant longtemps après l’indépendance d’Haïti en 1804, l’héritage africain de ce pays fut quelque peu méprisé par les classes dominantes haïtiennes, héritières du pouvoir colonial français. Selon le célèbre intellectuel haïtien Jean Price-Mars (1876-1969), « le terme « Africain » a toujours été, est l’apostrophe la plus humiliante qui puisse être adressée à un Haïtien. » (Ainsi parla l’oncle 1928 : 45). C’est Price-Mars qui ouvrit les yeux des élites haïtiennes en leur faisant prendre conscience qu’elles faisaient fausse route à vouloir se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas, c’est-à-dire des Européens. Aujourd’hui, plusieurs décennies après l’éveil à une conscience nationale initié par Price-Mars, il ne fait pas de doute que beaucoup reste encore à faire. Par exemple, sommes-nous conscients de la profondeur de l’héritage africain dans notre vision du monde, ou dans les petits gestes que nous faisons indifféremment, ou des subtilités dans l’usage de notre langue maternelle, le kreyòl (même si les chercheurs en créolistique nous ont beaucoup fait avancer sur ce point…) ? Prenons par exemple le lexème créole « tchwipe » [tʃwipe][1] et l’expression idiomatique « koupe kout je » [koupekoutje]. Ce sont deux gestes que n’importe quel locuteur haïtien fait inconsciemment sans se douter qu’ils ont une longue histoire derrière eux et qu’ils constituent des survivances africaines qui nous relient à une culture que certains croyaient pouvoir rejeter. Qu’en est-il de ces gestes/expressions ?

L’unité lexicale tchwipe[2] fonctionne en créole haïtien en tant que nom et en tant que verbe. Sa prononciation subit plusieurs variations phonétiques : certains locuteurs disent tchipe, d’autres disent tuipe, ou twipe, kwipe, ou kuipe lorsque c’est un verbe. En tant que nom, il est prononcé tchwip, ou tchip, ou tuip, ou twip. La variation étant un phénomène central et incontournable dans les langues créoles en général et en créole haïtien en particulier, la liste des réalisations phonétiques est loin d’être immuable.

L’expression koupe kout je (jye, zye) ne connait pas de variations sauf en ce qui concerne la dernière unité je qui peut devenir jye ou zye. Littéralement, il signifie « couper un coup d’œil » (à quelqu’un), c’est-à-dire « regarder quelqu’un avec mépris, hostilité, malveillance »  Il n’y a pas de traduction littérale pour tchwipe, étant donné que ce mot est d’abord une onomatopée lexicalisée.        

TCHWIPE dans la culture haïtienne

Le texte qui a servi de point de départ à cet article est une recherche conduite par deux linguistes d’origine guyanaise (Guyane anglaise), John et Angela Rickford en 1971 à l’époque où ils étaient doctorants à l’université de Pennsylvanie. Le texte s’intitule « CUT-EYE AND SUCK-TEETH: AFRICAN WORDS AND GESTURES IN NEW WORLD GUISE » (1979).  On notera que ces deux termes anglais constituent les équivalents anglais presque parfaits des termes kreyòl : koupe kout je (cut-eye) et tchwipe (suck-teeth).

Le mot « tchwipe » ou « tuipe » ou « kuipe » est bien connu en kreyòl. Il désigne un son produit par un locuteur faisant passer l’air dans un geste de succion à travers la bouche avec le dos de la langue s’élevant vers la partie molle du palais. La durée et l’intensité de ce son peuvent varier selon les habitudes personnelles ou selon les sentiments du locuteur ou selon l’endroit où il se trouve. Dans la culture créole haïtienne, « tchwipe »  exprime une colère difficilement contenue, une impatience particulière, une irritation, ou une forte réprobation. En général, dans la bonne éducation standard que recevaient dans le temps les jeunes enfants en Haïti, il leur était défendu de « tchwipe » en présence d’un adulte ou des parents.

Pour John et Angela Rickford qui traitent des usages et des significations de “tchwipe” dans le contexte de la société guyanaise et dans la Caraïbe créole anglophone[3] en général « The prohibitions against the use of this gesture are sometimes justified by the claim that it means « kiss my ass » or “kiss my private parts”. .(Les interdictions à l’encontre de l’usage de ce geste se justifient parfois par la déclaration qu’il signifie « lèche mon cul ! », « va chier », ou « va te branler ! ».). [ma traduction].

Le lexicographe Bryant C. Freeman, dans son Haitian-English Dictionary (2004 : 896) présente une dizaine de variations phonétiques de l’entrée « tchwipe » : chwip, chwipe, kipe, kwipe, tchip, tchipe, tchoupe, tchwip, twipe,  définie ainsi : noun : disdainful noise made with the mouth ; verb : to make a disdainful nose with the mouth, smack one’s lips disdainfully or contemptuously ; to scorn, mock.  (non : bruit exprimant du dédain produit avec la bouche ; verbe : produire avec la bouche un bruit exprimant du dédain, produire un petit bruit sec avec les lèvres d’une manière dédaigneuse ou méprisante ; mépriser, ridiculiser). Freeman ne donne pourtant aucun exemple pour  cette entrée.

Valdman et alii (2007) distinguent le verbe transitif : tchwipe et ses variations phonétiques (tchwip, tchip, twipe, tuipe, tuip, kwipe, kuipe) avec sa signification : smack one’s lips disdainfully or contemptuously. (Produire un petit bruit sec avec les lèvres d’une manière dédaigneuse ou méprisante) [ma traduction]. Ils donnent un exemple : Apa w ap tchwipe, ou gen lè pa kontan travay la ! You’re smacking your lips with disdain, you seem not to be pleased with the work!  (La façon dont tu frappes tes lèvres dédaigneusement, tu n’es pas satisfait du travail!) [ma traduction].

La deuxième entrée de Valdman et alii présente le nom « tchwipe » et ses variations phonétiques (tchwip, tchwipe, twipe, tuipe, tuip, kwipe, kuipe) avec sa signification : smacking sound made with lips to express annoyance or disdain. Valdman et alii proposent l’exemple suivant: M fè yon kout tchwip paske l t ap plede anmède m. (I expressed my annoyance by smacking my lips with disdain because he was continuing to bother me.) Un autre exemple proposé par Valdman et alii: Poukisa ou ban m tchwipe sa a? M pa fè ou anyen la pou ou fache. (Why are you smacking your lips with disdain? I didn’t do anything to make you angry). (Pourquoi tu fais ces bruits d’une manière si dédaigneuse? Je n’ai rien fait pour te mettre en colère) [ma traduction].

Donc, le geste ou le bruit de tchwipe dans la culture créole d’Haïti exprime plusieurs sentiments négatifs : le dégoût, la frustration, la provocation, le mépris, le défi…

KOUPE KOUT JE dans la culture haïtienne

Si « tchwipe » en tant que production d’un bruit de succion réalisé par le locuteur est un phénomène de créativité lexicale, « koupe kout je » relève d’une toute autre forme de création. C’est un groupe de mots dont le sens est ici métaphorique. Bryant C. Freeman dans son Haitian-English Dictionary (2004: 491) le traduit par « to give a dirty or haughty look; to snub » mais ne donne aucun exemple.

Valdman et alii (2007 :380) traduisent l’expression koupe yon moun kout je ainsi : « to give somebody a dirty or scornful look, glare at » et donne cet exemple: Sanble gen yon pwoblèm nan mitan de medam sa yo paske youn ap koupe lòt kout je. It looks like there’s a problem between these two women because they look at each other with scorn. (Il semble qu’il y ait un problème entre ces deux femmes parce qu’elles se regardent dédaigneusement) [ma traduction].

Il convient de signaler cependant que les définitions proposées par les deux lexicographes américains ne véhiculent pas toutes les nuances exprimées dans l’expression « koupe kout je » en usage dans la culture haïtienne. John et Angela Rickford (1979 : 358) dans leur article mentionné plus haut sont beaucoup plus complets dans leur description :

In Guyana, cut-eye is a visual gesture which communicates hostility, displeasure, disapproval, or a general rejection of the person at whom it is directed…The basic cut-eye gesture is initiated by directing a hostile look or glare in the other person’s direction. This may be delivered with the person directly facing, or slightly to one side. In the latter position, the person is seen out of the corners of the eyes, and some people deliberately turn their bodies sideways to achieve this effect. After the initial glare, the eyeballs are moved in a highly coordinated and controlled movement down or diagonally across the line of the person’s body. This “cut” with the eyes is the heart of the gesture, and may involve the single downward movement described above, or several sharp up-and-down movements. Both are generally completed by a final glare, and the entire head may be turned away contemptuously from the person, to the accompaniment of a loud suck-teeth.”

(« En Guyane anglaise, “cut-eye” est un geste visuel qui traduit une hostilité, un mécontentement, une désapprobation, ou un rejet général de la personne vers laquelle il est dirigé. Le geste de base du « cut-eye » s’affiche quand on dirige un regard hostile ou furieux en direction de l’autre personne. Cela peut être fait avec la personne qui lance le regard hostile faisant face directement ou légèrement penchée d’un côté. Dans cette dernière position, la personne est vue du coin des yeux, et certains délibérément se tournent latéralement afin de bien marquer l’effet qu’ils veulent produire. Après le regard furieux du début, les yeux bougent au prix d’un mouvement hautement coordonné de bas en haut ou diagonalement tout au long du corps de la personne. Ce « coup »  par les yeux  représente le cœur du geste, et peut impliquer le mouvement de bas en haut décrit plus haut, ou plusieurs mouvements précis exécutés du haut vers le bas. Généralement, les deux mouvements sont complétés par un dernier regard furieux, avec la tête tournée  loin de la personne, dédaigneusement, le tout accompagné d’un retentissant bruit de succion ») [ma traduction].

Cette description détaillée de John et Angela Rickford pour la réalisation du « cut-eye » tel qu’il se pratique en Guyane ressemble fort au « tchwipe » haïtien. En fait, il n’y a pas de différence si ce n’est que le nom (l’un anglais, l’autre kreyòl) entre les deux gestes. Il semble que le « koupe kout je » se réalise en Haïti beaucoup plus entre deux femmes (le plus souvent deux rivales) qu’entre deux hommes. Cependant, John et Angela Rickford rapportent que « The gesture of cut-eye is performed most frequently (and most skillfully!) by women. Men do not use this gesture as often and may experience real difficulty in trying to imitate the darting, highly coordinated movement which women can control.” (Le geste du « cut-eye » (koupe kout je) est réalisé plus fréquemment (et le plus talentueusement!) par les femmes. Les hommes ne font pas usage de ce geste aussi souvent que les femmes et peuvent éprouver de réelles difficultés en essayant d’imiter le regard perçant, le mouvement hautement coordonné que les femmes contrôlent si bien.) [ma traduction]. Il est tout de même exceptionnel que les mêmes morphèmes constituant l’expression idiomatique haïtienne se retrouvent aussi en Guyane anglaise et dans la Caraïbe anglophone. C’est le moment d’évoquer les sources africaines de ces deux gestes/expressions.

 

Origines africaines des deux gestes/expressions

Sources africaines ou sources européennes ? La question des origines des langues créoles n’en finit pas de diviser les linguistes spécialisés dans la genèse des créoles. Ce qui est sûr cependant, c’est que les langues créoles possèdent un héritage double : à la fois européen et africain. En ce qui concerne les origines africaines de ces deux gestes/expressions, la difficulté est de déterminer clairement la langue ou les langues qui en sont à l’origine. Mais ils portent les traits généraux de certaines langues de l’Afrique de l’Ouest. Pour John et Angela Rickford (1979 : 364), qui ont travaillé à partir de données recueillies auprès d’informateurs africains natifs,  « the concept of a cut-eye or suck-teeth gesture is familiar in several areas of both West and East Africa, and it is described by a verbal label in many of the languages spoken there. » (le concept de “cut-eye” ou le geste de “suck-teeth” est bien connu dans plusieurs régions de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, et il est décrit par un label verbal dans beaucoup de langues parlées là-bas.) [ma traduction]. Rickford et Rickford (1979 :364) signalent que tous les informateurs africains qu’ils ont rencontrés ont identifié tout de suite le geste de « cut-eye » (koupe kout je) et signalé ces expressions équivalentes :

Twi:                             obu ma ni kyi  __ « He breaks the backs of the eye on me »

Yoruba:                        moloju— “making expressions with your eyes to show disapproval”

Cameroon Pidgin:        no kɔ t  yɔ ai fɔmi —“Don’t cut your eyes on me.”

Banyang:                      a kpot a mek ne me —“She cut her eyes on me.”

Luo:                              kik ilokna wangi —“he is cutting his eyes,”

Swahili:                         usinioloka macho—“to roll one’s eyes.”

Comme cela se passe dans la culture haïtienne ou dans la Caraïbe anglophone,  les informateurs africains de Rickford et Rickford rapportent que le fait de tchwipe (sucking your teeth) en présence des parents était considéré très grossier et pouvait vous garantir une claque ou une fessée. Rickford et Rickford (1979 : 369) rapportent les termes africains équivalents à suck-teeth :

Mende:         i ngi yongi yofoin lɔ nya ma —« He sucked his teeth on me »

Temne:         tòs nè —“to suck to self”

Igbo:          ima osò—“to make a sucking noise with the mouth”

Yoruba:      kpòʃe—vb. “to make a sucking noise with the mouth”

                  òʃe —-(n.) “sucking noise made with the mouth”

Luo:           ichiya — (vb.) “to make suck-teeth noise”

chiyo —(n) “suck-teeth noise”

Krio:           no sɔk yu tit mi —“Don’t suck-teeth me”

Cameroon Pidgin:   no sɔk  yɔ tif fɔ mi—Don’t suck your teeth on me”.

 

Disponibilité/usage de tchwipe et koupe kout je en Haïti

Il ne fait pas de doute que ces deux gestes et expressions sont toujours disponibles pour l’utilisation des locuteurs haïtiens en Haïti. Le président haïtien l’a utilisé en public récemment et cela a causé un tollé dans la presse haïtienne. Pendant combien de temps encore l’usage de ces deux gestes et expressions  se maintiendra-t-il chez les locuteurs haïtiens ? Tant qu’il y a un besoin de leur utilisation dans la société haïtienne, dirions-nous. En fait, il n’y a pas que les locuteurs haïtiens qui les utilisent abondamment. Ils sont disponibles dans les situations appropriées et sont donc utilisés par tous les membres des diasporas noires. L’actuelle ministre de la justice française, Christiane Taubira, originaire de la Guyane française, en a donné une démonstration remarquable récemment, le 21 février 2015 à la télévision française quand, questionnée par la chaine BFM[4] au sujet des insultes proférées à son encontre par le parti d’extrême-droite, le Front national, elle répondit ainsi : « Il y a quelque chose que l’on fait dans les sociétés créoles, en Guyane et ailleurs. C’est un langage très féminin, et c’est ce que ça m’inspirerait : ça s’appelle un « tchip », et c’est un concentré de dédain ».

La ministre française, pour terminer, mime le bruit de succion si caractéristique de ce « concentré de dédain », comme elle le définit.

 

Conclusion

Comment les diasporas noires ont-elles pu conserver ces deux gestes et expressions après tant de siècles ? C’est la force de la culture en tant que pièce maitresse de notre identité de nous donner la possibilité de préserver des traits de notre héritage ethnique malgré la pression pour se conformer aux modèles dominants, spécialement dans les anciennes sociétés coloniales. En ce sens, les langues créoles témoignent admirablement de la capacité à résister aux pressions de toutes sortes, qu’elles proviennent de forces non-linguistiques ou linguistiques. Mais, toute culture est sujette à évolution, est appelée à se transformer quand elle rencontre d’autres cultures, d’autres visions du monde. Que deviendra la culture haïtienne en diaspora dans cinquante ans ?

Hugues Saint-Fort

New York, juin 2015

Références citées     

Freeman, C. Bryant (2004) Haitian-English Dictionary. Fifth Edition, Volume1. Institute of Haitian Studies, University of Kansas/ La Presse Évangélique.

Pompilus, Pradel (1973) Contribution à l’étude compare du créole et du français à partir du créole haïtien. Phonologie et lexicologie. Port-au-Prince : Éditions Caraïbes.

Price-Mars, Jean (1973) [1928] Ainsi parla l’oncle. Ottawa : Leméac.

Rickford, John A. et Rickford, Angela E. (1979) Cut-eye and Suck-teeth: African words and gestures in New World guise. Readings in American Folklore, pps. 355-373 edited by Jan Harold Brunvand. New York: W.W. Norton & Company, Inc.

Valdman, Albert et alii (2007) Haitian Creole-English Bilingual Dictionary. Indiana University, Creole Institute.     

[1] Les mots entre crochets sont écrits en alphabet phonétique international (API)

[2] La consonne affriquée [tʃ] du kreyòl dans le mot tchwipe possède un faible rendement phonologique dans le système consonantique du kreyòl. Pompilus (1973 :1) signale qu’il sert à distinguer [jõ tʃak] (maladie de l’espèce gallinacée, et [Jõ tƷak] (un cric), l’onomatopée [tʃɔk] et le nom [dƷɔk] (mauvais sort).

[3] Suck-teeth est l’équivalent anglais du kreyòl tchwipe. Il est aussi connu dans l’usage populaire comme stchoops (-teeth) or chups (-teeth) dans toute la Caraïbe anglophone.

[4] http://www.bfmtv.com/politique/quand-christiane-taubira-tchipe-le-front-national-862879.html

Francophonie: retour sur la journée où Michaëlle Jean a été élue


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Le président François Hollande félicite Michaëlle Jean, après son élection à la tête de l’OIF.

Michaëlle Jean a été élue, ce dimanche 30 novembre à Dakar, secrétaire générale de l’OIF. Cette Canadienne d’origine haïtienne succède au Sénégalais Abdou Diouf. Elle est la première femme et la première non Africaine à occuper ce poste. Le sommet de cette année marque donc un tournant.

Avec notre envoyé spécial à Dakar,

Il est midi, ce dimanche 30 novembre, au Centre de conférence de Dakar. Le huis clos commence entre les chefs d’Etat et de gouvernement. Pour le poste de secrétaire général, quatre candidats restent en lice. Mais en réalité, tout se joue entre un homme et une femme : le Congolais Henri Lopes et la Canadienne Michaëlle Jean. Leurs deux mentors, le Congolais Denis Sassou-Nguesso et le Canadien Stephen Harper, sont si sûrs de gagner qu’ils sont prêts à en découdre dans un vote à bulletin secret, ce qui serait une première et qui pourrait provoquer une déchirure sans précédent dans l’histoire de la Francophonie.

Le Sénégalais Macky Sall et le Français François Hollande lancent alors un appel au dialogue et proposent une réunion de la dernière chance entre les deux duettistes. Aussitôt, Sassou-Nguesso et Harper s’isolent dans une pièce, en compagnie des présidents français et sénégalais.

Au bout d’une heure et quart, Denis Sassou-Nguesso ressort, le visage fermé, et quitte immédiatement le centre pour rentrer à Brazzaville. Stephen Harper, lui, a l’œil brillant. Sa compatriote Michaëlle Jean bondit dans les escaliers, radieuse, déboule dans la salle du huis clos où elle est accueillie par une salve d’applaudissements. Côté français, François Hollande ne montre pas trop ses sentiments, mais plusieurs membres de sa délégation affichent un large sourire qui en dit long sur le soutien de Paris à la Canadienne.

L’impact de la révolution burkinabè

Ce XVe sommet de la Francophonie est un tournant, parce que le nouveau secrétaire général de la Francophonie est une femme et une nord-américaine, mais surtout parce que pour la première fois, c’est le critère démocratique qui a prévalu dans ce choix.

Quand le Congolais Denis Sassou-Nguesso a présenté la candidature de son ambassadeur, Henri Lopes, il avait toute raison d’être confiant, car tout le monde disait que cette fois le poste devait revenir à l’Afrique centrale. Mais voilà, il y a un mois, le peuple burkinabè a chassé un président qui voulait changer sa Constitution pour briguer un troisième mandat. Or le président Sassou est vivement soupçonné de nourrir les mêmes intentions.

Henri Lopes est une personne remarquable, mais, après la révolution burkinabè, un homme du président Sassou ne peut plus prendre la tête de la Francophonie ; ce serait un signal désastreux, confie un membre de la délégation française à Dakar. Bref, la révolution burkinabè a impacté ce sommet de Dakar, et Paris, encore une fois, a imposé son choix. Ce qui risque de laisser des traces.

LA MÉTHODE HOLLANDE À L’ÉPREUVE DE LA FRANCOPHONIE

La Francophonie c’est l’Afrique, disait encore samedi soir Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. Alors pour justifier la nomination d’une Canadienne, François Hollande a mis en avant les origines haïtiennes de Michaëlle Jean. « D’une certaine façon, elle est aussi africaine », a ainsi osé le chef de l’Etat français.

Pas sûr que la pilule soit moins amère pour certains pays. Mais dans l’entourage de François Hollande, on insiste sur un point : les Africains n’ont pas réussi à se mettre d’accord.

La France officiellement n’avait pas de candidat. Et la succession d’Abdou Diouf est à cet égard emblématique de la méthode Hollande en France comme à l’étranger : l’esprit de synthèse, la recherche du consensus assumée, revendiquée par son entourage quitte à prendre le risque, sans vouloir trancher, que le sommet de Dakar finisse en psychodrame. Elle paraît loin l’époque d’un président français capable de taper du poing sur la table pour imposer ses vues.

Autre temps, autres mœurs, c’est aussi ça la fin de la « Françafrique » proclamée par François Hollande il y a deux ans à Dakar. Pas de naïveté pour autant : la France ne perd pas de vue que la Francophonie est d’abord un outil d’influence dans le monde. La Francophonie, a lâché François Hollande ce weekend, c’est une « petite ONU ».

Source: RFI

Francophonie: la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean prend la tête de l’OIF


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La Canadienne Michaëlle Jean d’origine haïtienne a été désignée dimanche 30 novembre pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Elle occupera son poste de manière effective au 1er janvier 2015. Elle succède à Abdou Diouf, aux commandes de l’institution depuis 2012. La Canadienne Michaëlle Jean a été désignée par consensus à Dakar, pour quatre ans. Elle devient donc secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). L’ancienne gouverneur générale du Canada succède au Sénégalais Abdou Diouf, qui se retire après trois mandats à la tête de l’instance internationale qui compte 77 pays membres, dont 20 qui ont le statut d’observateur.

 

 

 

Les mensonges de la Bible sont dévoilés


Rome – Jésus n’est pas né un 25 décembre, était petit, pas très beau, Ève n’a jamais mangé de pomme et les Dix Commandements n’ont jamais été dictés par Dieu à Moïse, affirment deux journalistes catholiques dans un livre cautionné par le Vatican et publié en Italie.

Les Onze Commandements, écrit par deux collaborateurs du quotidien des évêques italiens Avvenire, est consacré aux «équivoques, mensonges et lieux communs dans la Bible et les Évangiles».

Le sérieux du «travail précieux de démythification» réalisé par Roberto Beretta et Elisabetta Broli sur la base de l’étude de textes sacrés authentiques est souligné dans une préface par Mgr Gianfranco Ravasi, membre de la Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église, le ministère de la Culture du Vatican.

«Le mélange d’équivoques, de lieux communs et de croyances a été recueilli par ces journalistes qui, comme des limiers, sont allés à la recherche de ces truffes pseudo-bibliques délicieuses et en même temps malodorantes», écrit le prélat.

Parmi les pseudo-vérités et les mythes dénoncés par les deux journalistes, certains vont causer un choc.

Ainsi, selon le résultat de leurs travaux, Jésus n’est pas né le 25 décembre, comme le veut la tradition chrétienne, et encore moins dans une grotte avec un boeuf et un âne pour le réchauffer.

Il avait une quarantaine d’années, voire davantage, quand il est mort, et il était petit, brun et pas très beau, selon nos critères actuels de beauté.

Son père, Joseph, n’était pas un vieillard, mais il avait entre 18 et 24 ans lorsqu’il a épousé Marie. Il était en outre beaucoup plus qu’un simple menuisier, plutôt un expert en bâtiments et d’une bonne culture.

Les Dix Commandements sont également un mythe. Ils n’ont pas été dictés par Dieu à Moïse et n’ont jamais été gravés sur des tables en pierre, assurent les deux journalistes.

Quant au Déluge universel, il n’a pas duré 40 jours mais un an. Les Juifs n’ont jamais traversé la mer Rouge, David n’a pas tué Goliath, Jonas n’a jamais été avalé par une baleine, et à Jéricho, personne n’a pu entendre des trompettes au moment où les murs s’écroulaient car à l’époque de Josué, la cité n’existait plus depuis longtemps, selon les archéologues.

Plusieurs autres images reçues tombent avec cette enquête. Saint Pierre n’a ainsi jamais été crucifié la tête en bas, saint Paul n’est jamais tombé de son cheval sur la route de Damas, et si Ève a bien mangé un fruit, il ne s’agissait pas d’une pomme mais plutôt d’une figue ou d’une orange.

 

Source: ledevoir.com

Les dérives de l’écriture du créole haïtien. Par Hugues St. Fort


Par Dr Hugues St. Fort

 

Pourquoi les locuteurs haïtiens ne font-ils pas plus d’efforts pour respecter la graphie officielle du créole haïtien ? Pourquoi ce laisser-aller insupportable dans l’écriture de la langue nationale qui est aussi une des deux langues officielles de la république ? Quand j’observe l’écriture créole de certains internautes, je me demande s’ils savent qu’il existe depuis janvier 1980 deux communiqués rédigés en français et en créole et publiés par la Secrétairerie d’Etat à l’Education Nationale. Ces deux communiqués présentent la graphie officielle du créole haïtien qui reste depuis la référence pour tout ce qui concerne l’orthographe du créole. Il est inacceptable que certains continuent à écrire le créole en 2011 comme on l’écrivait au début du vingtième siècle, c’est-à-dire n’importe comment.

Je lis assez d’interventions sur le Net en français et en anglais pour comprendre que le niveau de maitrise de l’orthographe française et anglaise tel qu’il est exprimé par les locuteurs français/francophones et anglais/anglophones est loin d’être satisfaisant. A la rigueur, ces locuteurs pourraient invoquer les difficultés graphiques notoires de ces deux langues. En effet, il y a en français et en anglais un très haut degré d’irrégularité dans la correspondance entre phonèmes et graphèmes. Cette irrégularité est à la base des règles orthographiques totalement arbitraires qui empoisonnent la vie des enfants et des adultes obligés de les apprendre. Au contraire de ces deux langues, la graphie du créole est remarquable dans son principe de base où le même son, (phonème) quelque soit son environnement, est représenté par le même signe (graphème).

Il y a eu quelques progrès réalisés par une minorité de locuteurs dans la connaissance et la réalisation des principes de la graphie du créole haïtien. Mais, après plus de trente années de diffusion dans les écoles, les universités, et la presse écrite, la graphie officielle du créole aurait du être plus connue chez ceux qui se proposent d’écrire en créole. Qu’il soit clair cependant que, en tant que linguiste, je fais une différence entre l’orthographe et la langue. Je ne répèterai jamais assez que l’orthographe n’est pas la langue et ne constitue qu’une façon de représenter les sons de la langue. Depuis Saussure, nous savons que le signe linguistique est arbitraire, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de lien naturel entre le signifiant, la face sonore du signe linguistique, et le signifié, le contenu du signe linguistique. C’est en vertu d’une convention sociale que les locuteurs francophones par exemple, ont décidé d’associer au concept « cahier » la suite sonore [kaje]. D’ailleurs, pour les locuteurs anglophones, ce même concept est rendu par une autre suite sonore. Il faut tout de même rappeler que certains éléments de la langue ont un caractère motivé, non arbitraire ; c’est le cas des onomatopées (tic-tac, goudougoudou, bang…) qui « imitent » certains bruits.

Dans un article paru sur AlterPresse le 20 mai 2011, Marie-Frantz Joachim, une linguiste haïtienne, au cours d’une analyse du discours d’investiture du nouveau président haïtien Michel Martelly, identifie comme des néologismes des éléments tels que « fèm », « figil », « rebal ». introduits dans les phrases suivantes fèm konfyans, nou pral refè figil, rebal eskanp li. Pour Mme Joachim, ce sont des mots nouveaux « dans la mesure où cette agglutination qu’il semble opérer avec un verbe et un pronom complément (« fèm ») ou encore un nom avec un pronom complément (« figil ») n’existait pas avant. » Plus loin cependant, Mme Joachim poursuit ainsi : « Le procédé qui semble être utilisé dans les exemples tirés du discours ne peuvent [sic] en aucun cas être associé au phénomène d’agglutination dans la mesure où ils ne résultent d’aucun processus diachronique ». Il faut d’abord rappeler ce que les linguistes entendent par agglutination en créolistique : c’est la fusion d’un article de la langue lexificatrice (en créole haïtien, le français) avec un nom. Voici quelques exemples : lalin (de l’article défini français la, placé devant le nom français lune), labank, (de l’article défini français la placé devant le nom français banque), legliz (de l’article défini l’ placé devant le nom français église) lanmè (de l’article défini français la se nasalisant en lan devant le m de mer, ou encore matant, monnonk, (du possessif ma précédant le nom français tante ; du possessif mon précédant le nom français  oncle). Toutes ces unités peuvent recevoir un déterminant en créole ou peuvent être mises au pluriel sans que cela change quoi que ce soit au déterminant français, qui reste agglutiné au nom. Nous pouvons dire lalin lan, labank lan, legliz la, matant mwen, monnonk mwen…

La citation de Mme Joachim peut prêter à confusion car elle semble expliquer le phénomène d’agglutination comme résultant « d’un processus diachronique ». Ce qui n’est pas du tout le cas. En fait, il y a dans cette analyse une confusion entre la langue et l’écriture. Comme je le disais plus haut, l’écriture n’est pas la langue. La langue est un système qui existe dans le cerveau/l’esprit d’un individu ; l’écriture est la façon de représenter les sons de la langue. La majorité des langues du monde n’est pas dotée d’un système d’écriture ; pourtant, cela ne les empêche pas de fonctionner dans toute leur complexité pour permettre à leurs locuteurs de communiquer leurs intentions et leurs pensées les plus compliquées.

Les éléments tels que « fèm », « figil », « rebal » ne sont nullement des néologismes, comme Joachim tente de les analyser. Ils ont toujours existé dans le  lexique du créole. Il se trouve cependant que leur écriture telle qu’elle a été rendue dans le discours d’investiture du président Martelly ne correspond pas à leur fonctionnement dans la langue. Il devrait y avoir un espace blanc entre le verbe « fè » et la forme courte « m » du pronom « mwen » ; il devrait y avoir également un espace blanc entre le nom « figi » et la forme courte l du pronom « li » ; même chose entre le verbe « reba » et la forme courte « l » du pronom « li ».

Il est important de respecter la structure de la langue dans l’écriture des groupes de mots ou des phrases. Quand on ne le fait pas, on trahit le fonctionnement même de la langue. C’est une tendance qui devient de plus en plus répandue chez ceux qui écrivent en créole. Elle peut s’expliquer par le fait que la plupart des locuteurs haïtiens n’ont pas appris formellement la langue créole dans une institution scolaire où ils auraient appris la nature et le fonctionnement des éléments de la chaine parlée créole.

Mme Joachim met cependant le doigt sur une tendance déplorable chez de plus en plus de locuteurs haïtiens dans leurs pratiques d’écriture. Il s’agit de la confusion du son « r » avec le son « w ». Elle rappelle justement que « le son « r » ne précède jamais les voyelles arrondies telles que « o, ò, ou, on » » Pour beaucoup d’Haïtiens qui écrivent en créole, il semble que la lettre « r » a disparu de l’alphabet créole et qu’il a été remplacé par la lettre « w ». On met du « w » partout : *« wat », pour « rat », *« wivyè » au lieu de « rivyè », *« wepons » pour « repons », etc. Je reprends donc ce que Mme Joachim a expliqué : le son « r » et la lettre « r » ne s’emploient pas devant les voyelles postérieures « o, ò, ou, on ». Dans cet environnement, c’est le son [w] que les locuteurs prononcent et c’est la lettre « w » que nous écrivons. On écrira donc « pwomèt », « won », « woulibè », « wòklò », mais « rat », « rayi », « rive », « restavèk »…

Vers la fin de son article, Mme Joachim pose une question extrêmement pertinente : « le choix de ne pas suivre les règles d’écriture du créole peut-il être compris comme un mépris pour la majorité des Haïtiens et des Haïtiennes qui ne parlent que cette langue ? L’écriture de la variété acrolectale jusque-là utilisée sous forme orale ne traduit-elle pas une volonté d’écarter la majorité de la population créolophone unilingue du discours politique, donc du pouvoir. ? » Il est encore tôt pour répondre valablement à ces deux questions mais il est bon de se les poser.

Martelly sur TV5: Les dits et les non dits (2ème partie)


martelly-tv5Le président d’Haïti, Michel Martelly, a été l’invité spécial de l’émission ‘’Internationales’’ sur TV5 le dimanche 2 novembre 2014. Il a répondu aux questions de Philippe Dessaint de TV5, de Sophie Malibeaux (RFI) et de Paulo Paranagua (Le Monde). Après vous avoir présenté la première partie de notre décryptage de cette émission, le site NancyRoc.com a le plaisir de vous présenter la deuxième et dernière partie de ce dernier.

Dans la première partie de notre décryptage, nous avions présenté et analysé les propos du chef de l’État haïtien concernant l’aide internationale à Haïti, les élections, les manifestations de rue qui se succèdent dans ce pays de la Caraïbe et la conception de l’État de droit du président.

Vu que cette entrevue n’était pas linéaire et que dans la deuxième partie, les journalistes sont revenus sur des sujets abordés dans la première partie, nous avons rassemblé les dires épars par thèmes pour faciliter nos internautes. En effet, cette entrevue était davantage un entretien à bâtons rompus mais elle était, aussi, hautement politique.

Juste avant la pause publicitaire de l’émission ‘’Internationales’’, rappelons que les journalistes français questionnaient le président Martelly sur son laxisme quant à l’absence de jugement de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier. Dès la reprise, le président Martelly a été interrogé sur l’actualité au Burkina Faso et la récente démission de Blaise Compaoré.

Sur la politique internationale

campaoreD’entrée de jeu, Philippe Dessaint de TV5, est passé à une autre vitesse en demandant à Martelly: « On vient de voir le départ de Blaise Campaoré après des troubles au Burkina Faso. Comment  vous analysez cette situation? Vingt-sept ans au pouvoir, on est tenté, un peu comme d’autres, de toucher à la Constitution pour rester encore plus longtemps; la rue se révolte…Vous dites quoi? C’est çà la démocratie?».

Pour Martelly, Campaoré a été victime de son propre mauvais calcul.  « Même quand on a tendance à le faire (toucher à la Constitution), il faudrait s’assurer du support de la population (…),et s’il ne l’avait pas, je ne pense pas qu’il aurait dû le tenter».

Pour la première fois de son histoire républicaine, sous l’administration de Martelly,  Haïti a modifié sa Constitution en 2012, après moultes tergiversations, pour reconnaître le principe de double nationalité et pour permettre la création d’un conseil électoral permanent.

Martelly nous annonce-t-il qu’il pourrait s’assurer du soutien de ses partisans pour tenter de toucher à la Constitution après le 12 janvier 2015, lorsqu’il pourra gouverner par décret? À quel dessein, sans Parlement?

Phillippe Dessaint a ensuite fait référence au ‘’Printemps noir africain’’, en précisant que «  la rue peut chasser des présidents. Çà doit donner des idées ou des mises en garde à d’autres présidents en Afrique, on ne va pas citer la liste, qui seraient tentés de changer la Constitution», a-t-il dit. « Pour vous, c’est un exemple, c’est un précédent ? », a-t-il renchérit en voyant le président Martelly hésiter. Le président haïtien a déclaré que ce n’était pas un précédent puisque c’est arrivé en Haïti avec Duvalier « qui était président à vieIl faut choisir la démocratie pour permettre aux idées, aux gens de se renouveler à travers les élections. C’est pourquoi je tiens aux élections », a-t-il affirmé.

Espérons que le président Martelly dit vrai et ne pensait pas charmer l’audience mondiale de TV5 avec des promesses creuses. En effet, la référence au Burkina Faso, l’insistance de Philippe Dessaint sur les changements constitutionnels par un président, sur la pression des rues et, des énoncés tels que, « ca doit donner des idées ou des mises en garde à d’autres présidents » ou encore, lorsque Sophie Malibeaux (RFI) enfonce le clou en déclarant : « Le peuple n’a pas été en mesure de voter, aujourd’hui certains demandent votre démission. Lorsque vous voyez ce qui se passe au Burkina Faso, est-ce que quelque part cela vous fait sentir l’urgence de la situation?; toutes ces questions n’ont rien d’innocent.

Quelque chose était en train de se passer. Les journalistes, tant par leurs questions, leur condescendance et leur frustration lorsque Martelly ne répondait pas aux questions, envoyaient des signaux clairs d’un revirement des bailleurs de fonds et de la Communauté internationale vis-à-vis  de l’administration Martelly/Lamothe. Le message que claironne le premier ministre Laurent Lamothe et qui est repris par le président Martelly soit, « tout est prêt pour les élections que nous voulons organiser dès que possible (…) Il nous manque une chose, qui est la loi électorale», ne passe tout simplement plus après trois ans d’attente.

En effet, si le président Martelly minimise les nombreuses manifestations qui ont eu lieu dans son pays, ces dernières inquiètent la Communauté internationale qui, comme beaucoup d’observateurs haïtiens, voit se profiler une crise institutionnelle potentiellement explosive en 2015.

Dans l’incapacité de fournir une date pour la tenue des prochaines élections législatives, les questions  adressées à Martelly constituaient un avertissement et les journalistes ont dû recevoir des informations substantielles pour traiter un chef d’État d’une telle façon sur un plateau, soit comme un enfant turbulent qu’on veut rappeler à l’ordre.

paulo-paranagua Paulo Paranagua (Le Monde) a d’ailleurs enchaîné avec la récente visite du 30 octobre 2014 de Thomas Shannon, Conseiller du Secrétaire d’État des États-Unis John Kerry, qui réitérait le support des États-Unis à l’organisation des élections dans un délai convenable, encourageait le dialogue politique et soulignait les progrès effectués dans les domaines de la reconstruction et du développement.

 « Il essaye de trouver une solution à l’impasse institutionnelle haïtienne due au fait qu’il n’y a pas eu d’élections le 26 octobre, qu’on ne sait pas s’il y  aura des élections en janvier. Vous ne trouvez pas que c’est quand même curieux qu’un diplomate américain fasse un travail qui serait peut-être le vôtre, en tant que chef d’État, de rassembler les différentes forces et de trouver une issue institutionnelle? », a-t-il demandé les yeux ahuris de constater que c’est un diplomate américain  qui remplit le rôle que le président Martelly devrait lui-même tenir, soit de convenir de la tenue des élections.

Réponse du président haïtien : « On s’est mis dans une situation où l’on vit, on a vécu, de ce que les amis avaient à nous apporter. Donc, ceux qui s’investissent, ceux qui paient, ceux qui s’assurent que la démocratie soit construite et installée (en Haïti), s’intéressent aux affaires du pays», a-t-il rétorqué.

« Cela ne vous embarrasse pas? Ce n’est pas de l’ingérence pour vous? », a questionné Philippe Dessaint. « On ne peut pas avoir des élections. S’il y a des gens qui nous aident à résoudre ce problème, pour nous, c’est une forme d’aide», a répondu Martelly, quelque peu gêné.

Pour reprendre de l’assurance, le président haïtien a poursuivi en expliquant : « Nous ne sommes pas seuls  dans la région et une Haïti instable, c’est créer une région instable, c’est être un voisin instable pour la République dominicaine, donc on veut d’une Haïti stable ». Ainsi, il s’est affiché, aux yeux de 55 millions de téléspectateurs, comme un président totalement assujetti aux États-Unis et incapable de gérer son pays et le processus électoral sans recevoir de l’aide, voire des ordres, de la Maison Blanche.

Et c’est là, devant une telle démonstration d’absence de leadership que Sophie Malibeaux (RFI) lâche la question lapidaire : « Et qu’est-ce que vous venez chercher ici en Europe?». Malgré l’irrespect évident d’une telle question, le président haïtien a conservé son calme et a marqué un point important quant à sa retenue, surtout lorsqu’on connaît son tempérament bouillant et son attitude souvent agressive envers les journalistes de son pays.

« L’Haïti que l’on veut construire aujourd’hui est une Haïti ouverte aux affaires (…) et les entrepreneurs me le disent, ils se sentent plus rassurés quand ils parlent à l’Exécutif (…) que l’Exécutif donne la garantie que l’État est là aujourd’hui pour les accompagner, pour créer des conditions attrayantes pour que les investisseurs (puissent venir en Haïti)», a répondu le président.

Sur la politique de l’administration Martelly/Lamothe

Mais de quels entrepreneurs parle le président? Il a raté l’occasion de citer ne fusse qu’une entreprise qui a investi en Haïti depuis son arrivée au pouvoir. Or, le plateau de TV5 constituait une plateforme idéale pour donner des exemples concrets. D’autre part, pourquoi un entrepreneur devrait-il avoir accès à l’Exécutif pour investir dans un pays? Pourquoi faudrait-il être ‘’rassuré’’ par le chef de l’État? Cela ne démontre-t-il pas en soi qu’au-delà du slogan Haiti is open for business, la réalité est tout autre?

Et de fait, Haïti est un pays aujourd’hui où les pannes de courant sont pires qu’auparavant, il y a une rareté croissante d’eau, une absence criante de cadres et toujours un manque d’infrastructures, quatre ans après le séisme.

Le président a beau dire que désormais on peut ouvrir une entreprise en 9 jours, une personne pourtant proche de son entourage nous a révélé que cela fait plus d’un an qu’elle attend son permis d’emploi. Il y a deux ans, au Forum d’Affaires Québec Haïti, organisé par Incas Productions à Montréal, le ministre du Commerce, Wilson Laleau avait lui aussi annoncé qu’il ne faudrait que 10 jours pour ouvrir une entreprise…cela a pris pourtant deux ans pour se concrétiser.

Et Sophie Malibeaux (RFI) ne s’y est pas trompée en citant le dernier Rapport «Doing Business 2015» de la Banque Mondiale qui classe Haïti à la 180ème place sur 189 pays. La République Dominicaine, est classée à la 84ème place. « La politique des affaires est désastreuse en Haïti», a dit la journaliste.

« Désastreuse peut-être par rapport à la France ou aux États-Unis, mais il fallait voir ce que c’était avant», s’est défendu le président. Non, Monsieur le Président, c’est sur 189 pays. Avant?  Dans le Rapport « Doing Business 2012», couvrant les données entre juin 2010 et mai 2011, juste avant l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly, Haïti occupait  la 174ème position dans le classement de la Banque Mondiale, soit 6 places de mieux qu’aujourd’hui.

Ces chiffres prouvent encore une fois qu’Haïti fait dans le cosmétique et la propagande mais dans le fond, le dernier Rapport «Doing Business 2015» vient clouer au pilori le slogan creux que galvaude l’administration Martelly/Lamothe;  Haiti is open for business.

Qu’est-ce que le président Martelly est venu chercher en Europe? Bonne question, La France est engluée dans une crise sans précédent, non seulement politique mais également économique.  Selon les dernières données,  le chômage de très longue durée se développe dix fois plus vite qu’il y a cinq ans et, dans un pays aussi riche, le taux de pauvreté des moins de 18 ans a grimpé de trois points, passant de 15,6% à 18,6 % entre 2008 et 2012, soit une augmentation nette d’environ 440.000 «enfants de la récession».

Quant à l’Allemagne, visitée par le président haïtien, elle est la première puissance économique européenne et la quatrième puissance économique mondiale. Rien de concret n’est ressorti de la visite de Michel Joseph Martelly dans le pays d’Angela Merckel.

Par contre, il n’a pas partagé sur le plateau de TV5 ce qu’il a dit sur le quotidien France-Antilles, auquel il a accordé uneentrevue lors de sa visite à Paris. À la question : « Vous avez choisi de développer la coopération, surtout commerciale. Qu’avez-vous à vendre ?». Le chef de l’état a répondu : « Avant, nous vendions une Haïti qui quémandait, frappée par des catastrophes humaines, naturelles. Aujourd’hui, c’est une belle Haïti digne, qui offre des opportunités aux entreprises internationales(…) On peut produire des bananes pour l’Allemagne et l’Allemagne explore nos possibilités»…

Autres points saillants :

martelly-et-ban-ki-moonMartelly et la MINUSTAH : on notera aussi que, concernant la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), le président a déclaré qu’il prévoit un retrait graduel de la force onusienne d’ici juin 2015. Il n’a jamais évoqué  les exactions de la Mission ni l’introduction du choléra en Haïti par les troupes népalaises. Il a dit avoir demandé à Ban Ki Moon d’attendre les prochaines élections présidentielles pour assurer la sécurité du pays en cas de chaos.

Pour remplacer la Mission de l’ONU, Martelly indique que la police nationale est en train d’être renforcée de 1500 hommes par an. D’autre part, il a révélé que les partenaires d’Haïti, à travers la Junte interaméricaine de défense(JID), vont aider à monter le Livre blanc  du gouvernement, qui constituerait l’essentiel « d’une force parallèle à la police qui jouera le rôle de la MINUSTAH», a-t-il dit.

Martelly a salué le travail de la MINUSTAH en Haïti et a souligné ses  « acquis de ces dix dernières années». Le président, qui avait promis le retour de l’armée haïtienne lors de sa campagne électorale, a salué l’occupation militaire d’Haïti: « Je suis de ceux qui supportent cette force dans le pays. J’apprécie le travail qui est fait. Je le dis haut et fort à ma population et à la MINUSTAH».

Martelly et l’éducation : durant cette entrevue, le président n’a pas arrêté de marteler que c’est grâce à lui qu’aujourd’hui le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO) a été lancé : plus de 1,2 millions d’enfants vont à l’école gratuitement et  leur transport est assuré par l’État.

Si cette initiative est louable, l’école en Haïti n’est toujours pas gratuite comme l’a affirmé le président. D’autre part, depuis plus de trois ans, les secteurs de l’éducation et les syndicalistes ne cessent de dénoncer les fraudes et les  fausses écoles inscrites dans le programme. Les établissements ne répondent pas aux critères de qualité. Les enseignants et  directeurs d’écoles ne sont pas toujours payés à temps. Enfin, l’État paye $US 90 par enfant par an. Qu’est-ce que cela va donner comme éducation de qualité dans le futur?

Martelly et l’histoire d’Haïti : si la visite du président Martelly au Fort de Joux où mourut en captivité Toussaint Louverture, le 7 avril 1803, doit être saluée comme une première, malheureusement, le chef de l’État n’a pas démontré qu’il maîtrisait l’histoire de son propre pays. En effet, lorsque Philippe Dessaint a déclaré que «Toussaint Louverture a battu Napoléon», le président s’est contenté de dire « c’est dur à admettre». Rappelons que Toussaint était un général de l’armée française. Déporté en France et incarcéré en isolement jusqu’à sa mort au Fort de Joux, c’est son ancien lieutenant, Jean Jacques Dessalines, qui a vaincu l’armée de Napoléon et a proclamé l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804.

En conclusion, l’entrevue sur les trois ans au pouvoir de Martelly sur TV5 n’a été qu’une grande scène théâtrale qui a permis de mettre en exergue que la gouvernance haïtienne n’est qu’une coquille vide. Le président a souvent évité de répondre aux questions, préférant jouer de l’escrime, tactique désavantageuse pour lui. Par ailleurs, à ce jour, aucun média français n’a jugé nécessaire de publier un article sur cet entretien.

Quant à ceux qui refusent de voir l’essence de cette entrevue et qui comparent toujours cette administration au vide et à la violence de celle de Lavalas, je les référerai à une pancarte que j’ai vue dans les rues de Ouagadougou : « Quand on s’est débarrassé du diable, peut-on choisir un diablotin? »

 

Nancy Roc, Montréal, le 4 novembre 2014

 

Source: Nancy Roc.com

Martelly sur TV5: Les dits et les non dits (1ère partie)


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Par Nancy Roc

Le président d’Haïti, Michel Martelly, a été l’invité spécial de l’émission ‘’Internationales’’ sur TV5 le dimanche 2 novembre 2014. Il a répondu aux questions de Philippe Dessaint de TV5, de Sophie Malibeaux (RFI) et de Paulo Paranagua (Le Monde). Décryptage de cette interview.

Durant cette émission, le président  Martelly a été interrogé  sur la situation sociale, politique et économique d’Haïti ainsi que sur sa quête d’une nouvelle aide internationale. Sa visite à Fort de Joux, pour rendre hommage au Héros de l’indépendance d’Haïti, Toussaint Louverture, a également été évoquée.

Pour nos internautes, nous avons décrypté cette interview dont voici les temps forts. Nous avons relevé ce que le président Martelly a dit et, aussi, ce qu’il n’a pas dit. Ce décryptage se fera en 2 parties, dont voici la première.

Introduction

Pour commencer cette émission, «Internationales», de TV5MONDE – RFI – Le Monde, a présenté un reportage qui fait un retour sur  la catastrophe du séisme du 12 janvier 2010 et l’élection de Michel Martelly, qualifié de ‘’plutôt libéral et proche du peuple’’.

Premier accroc de Martelly, lorsque Philippe Dessaint lui pose la première question concernant les besoins d’Haïti cinq ans après le séisme, le président tutoie le journaliste senior de TV5 Monde, comme s’il était son copain d’enfance. Une erreur de protocole inadmissible pour un chef d’État sur le plateau de la première chaîne généraliste mondiale en langue française, suivie chaque semaine par 55 millions de téléspectateurs uniques en audience cumulée.

Sur l’aide internationale

camps-en-haitiPour Michel Martelly,  « les idées sont plus importantes que l’argent », c’est pour cela que «nous ne demandons pas d’argent mais nous offrons des partenariats, des opportunités, des joint-ventures pour faire ce travail » (de reconstruction), a-t-il dit.

Rappelons que lors de sa visite le 31 octobre à l’Élysée, où il a été reçu par le président François Hollande, Michel Martelly a évoqué un “partenariat” pour l’éducation entre les deux pays. Un partenariat qui a fait sursauter les observateurs et les spécialistes de l’éducation. En effet, la France a toujours été présente en Haïti depuis 1804 et pourtant n’a pas empêché le système éducatif haïtien de plonger dans l’abysse. Par ailleurs, pourquoi Martelly demande-t-il  un partenariat à la France alors qu’il est en fin de mandat?

De plus, si les idées étaient plus importantes que l’argent, Haïti aurait fait appel à tous ses cadres, médecins, professionnels, professeurs et autres de sa diaspora, plutôt qu’aux étrangers et aux Dominicains. Seulement voilà : l’administration Martelly/Lamothe a ses idées- ou celles de Clinton et de l’administration américaine- et a totalement exclu sa diaspora et tous ceux qui ne partagent pas ses points de vue en Haïti. Dans ce pays, le gouvernement fait dans le cosmétique et non dans la réflexion.

Concernant l’existence de camps cinq ans après le séisme, Martelly a rappelé qu’à son arrivée  au pouvoir en 2011,  il y avait « 1 million 500.000 personnes sous les tentes et que maintenant il y en a 40.000». Il a formulé le vœu qu’il n’y ait plus de tentes à la fin de son mandat sans jamais remercier les pays qui ont contribué à reloger ces camps, dont le Canada. Car, il faut bien reconnaître que ce n’est pas le gouvernement haïtien qui a relogé les sinistrés mais bien les ONG et les pays donateurs qui ont implémenté leurs programmes de relogement.

D’autre part, les chiffres donnés par le président sont erronés. En effet, quatorze mois après le séisme, soit en mars 2011 (un mois après l’assermentation de Martelly nouvellement élu), l’estimation du nombre de réfugiés toujours dans les camps de tentes était de 680 000 personnes (OCHA Haïti 2011, p. 2) et non de 1 million 500.000. De plus, selon le dernier rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui date du mois de septembre 2014, ce ne sont pas 40.000 personnes qui restent à reloger mais bien 85,432.

Philippe Dessaint de TV5 Monde a évoqué le nouveau terme ‘’ONGénisation’’, né du séisme de 2010 et de l’incapacité de l’État hattien à faire face à ses obligations. « Est-que votre État aujourd’hui est à la hauteur de la situation? », a demandé Philippe Dessaint. Le président n’a jamais répondu à cette question, préférant accuser les gouvernements antérieurs d’avoir choisi les ONG et la corruption; une corruption qui prévaut toujours aujourd’hui admet-il, et qui démontre que la «mentalité haïtienne doit changer».

Pour le président Martelly, « la corruption est difficile et ne se voit pas sur un visage. Pour la combattre, il faut faire voter des lois sur la corruption, sur le blanchiment et renforcer les unités qui luttent contre la corruption, la justice, la police, pour que les corrompus soient punis, découragés et gouverner par l’exemple aussi», a-t-il dit. Rappelons que le 16 août dernier, devant l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), le président avait promis de s’attaquer à la corruption «sous toutes ses formes et à ses origines». Dans le cadre de la semaine de la gouvernance, le chef de l’État haïtien avait juré de tout faire pour éradiquer le mal qui ronge l’administration publique. Il avait également annoncé qu’il lancerait sous peu des réformes en profondeur de l’administration publique. Les Haïtiens les attendent toujours.

richard-morseGouverner par l’exemple, a-t-il dit? A-t-il oublié la démission, le 26 décembre 2013, de son propre cousin  et conseiller, Richard Morse?  Ce dernier avait déclaré au journal The Star: « Je suis parti à cause de la corruption au Palais et du sabotage des infrastructures ».

Morse avait déclaré avoir vu des preuves que des travailleurs remplissaient des canaux de drainage avant la saison des pluies, ce qui a entraîné des inondations. Quand il a alerté le ministre des Travaux Publics,  « rien n’a été fait» , a-t-il dit. « Si vous créez des catastrophes, ce ne peut être que pour l’argent de l’aide», a-t-il déclaré.

Quant à la corruption au Palais, Morse a dit avoir vu de « faux chèques payés à gens  qui ne travaillaient plus là.». Concernant la corruption au Palais et dans le gouvernement, dès les deux premières années de Martelly au pouvoir, il a conclu en disant: « Plutôt que de lutter contre la corruption, je sens qu’ils l’ont adoptée ».

Or, depuis l’arrivée du premier ministre Lamothe, les allégations de corruption n’ont fait que s’accentuer. « Les dépenses excessives et injustifiées de Martelly, surtout pour ses nombreux voyages à l’étranger, ont engendré un gaspillage des fonds de l’État. Près de 40 millions de gourdes (US $ 1.00 = 46.00 gourdes ; 1 euro = 65.00 gourdes aujourd’hui) ont été dépensées lors de l’anniversaire, le 14 mai 2013, des deux ans au pouvoir de Michel Martelly. Jusqu’à date, aucune justification claire n’a été donnée. Aucune information ne filtre, non plus, sur les dépenses consenties à l’occasion du 14 mai 2014. Marie Carmelle Jean-marie, l’actuelle titulaire sans décharge du ministère de l’économie et des finances (Mef), nommée le 2 avril 2014, avait préalablement démissionné de sa fonction, en avril 2013, « pour cause de dépenses non justifiées » au sein de l’actuelle administration politique. « Les caisses de l’État sont vides», avait lâché Martelly lui-même en 2014. Les fonds « PétroCaribe », représentant une part importante du budget d’investissement en Haïti, ont été employés dans des projets sociaux, sans réelles retombées positives pour la population», rappelait Alterpresse le 18 mai dernier, soulignant le mécontentement de plusieurs secteurs sociaux par rapport à l’application de mesures néolibérales, préjudiciables au progrès du pays . Est-ce ainsi que le président gouverne « par l’exemple » ?

Enfin, rien de substantiel n’a été dit sur la reconstruction d’Haïti et l’aide internationale. Aucune annonce pour le 5ème anniversaire du séisme qui arrive bientôt. Aucun appel à un changement de paradigme de l’aide internationale à Haïti.

Sur les élections

les-journalistes-inteviewant-martelly« Changer de mentalité certes, mais on a l’impression qu’il faut aussi reconstruire les institutions; or, depuis que vous avez été élu dans des conditions un peu controversées, il n’y a plus eu d’élections en Haïti. Comment les citoyens peuvent-ils choisir et s’exprimer si les élections ont été ajournées? », a demandé Paulo Paranagua du quotidien Le Monde.

Le président s’est vanté d’avoir rétabli les institutions d’Haïti en utilisant le pronom personnel «je», à volonté : « Pour renforcer les institutions, je suis le seul à le faire (…). J’ai nommé des juges à la Cour de Cassation (…), aujourd’hui, elle est fonctionnelle. J’ai mis sur pied le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). Pendant des années, on a hésité à le faire car ce Conseil pourvoit à l’indépendance de la justice, c’est moi qui l’ai fait », a précisé le président péremptoirement.

Mais les journalistes français, aux faciès très hostiles ou dédaigneux envers le président, ignorent que  le président de la Cour de Cassation, Anel Alexis Joseph, est le parrain de Michel Martelly et que de nombreuses voix, dont celle du Sénat et des organismes des droits humains, ont dénoncé son accointance avec la présidence. Or c’est ce même Anel Alexis Joseph qui est aussi président du CSPJ. La justice est donc totalement soumise à l’Exécutif.

Questionné sur la tenue des prochaines élections législatives, Martelly n’a pas pu donner de date, arguant que c’est le pouvoir Législatif qui doit voter la loi électorale. « C’est aux institutions de faire leur boulot», a lancé Martelly, en dénonçant un “blocage” du Parlement.« Un pouvoir que je n’ai pas, c’est de forcer le Parlement à voter (…)  Si l’argent est débloqué et le CEP (Conseil Électoral provisoire) est mis en place et que la loi électorale est votée, l’Exécutif n’a plus rien à voir que de convoquer le peuple en ses comices. (…) D’ailleurs, la preuve que je veux des élections, c’est que, dès qu’on arrivera au dysfonctionnement du Parlement, ma première décision sera de convoquer les élections », a promis Martelly.

« Donc vous arrivez déjà au dysfonctionnement et savez que vous ne pouvez pas l’éviter? », a questionné Sophie Malibeaux. À cette question, le président a encore esquivé une réponse directe en disant qu’il a entamé un quatrième dialogue avec tous les secteurs. Un vrai dialogue? Oui, affirme Martelly, disant qu’il a  accepté de faire un gouvernement d’ouverture. Or, les Haïtiens savent que c’est faux. Et si l’ouverture était de nommer Rudy Hériveaux, ancien défenseur zélé d’Aristide, qui aujourd’hui insulte les organismes de droits humains d’être des ‘’sadiques’, et des’’psychopathes’’, il valait mieux, pour la dignité du peuple haïtien, ne pas ouvrir la porte du gouvernement à un tel schizophrène.

Sur les manifestations de rue

manifestations-anti-martellyBombardé de toutes parts concernant sa déresponsabilisation de la dégradation de la situation sociopolitique du pays et qui a engendré de nombreuses manifestations de milliers de personnes ces dernières semaines, le président haïtien a minimisé la portée de ces dernières : « une protestation dans la rue, même si elle est hebdomadaire, quand il s’agit de 500 ou de 1000 personnes, çà ne  représente pas une population», a-t-il déclaré.

Quant aux arrestations et à l’existence de prisonniers politiques, le président déclare ne pas être au courant de leur existence : « je ne suis pas au courant qu’il y a des manifestants en prison (…) je ne suis pas les questions d’arrestations (…) S’il y a des prisonniers politiques je le saurais. S’il y avait des prisonniers politiques, cela sortirait de mon mouvement, mais, là, il n’y a pas de prisonniers politiques».

De quel mouvement parle Martelly? Comment des prisonniers politiques pourraient-ils sortir de son mouvement? Aucune demande de précision des journalistes francais qui, clairement, dédaignaient le président. Comment un chef d’État peut-il dire ignorer la présence de prisonniers politiques lorsque son propre ministre de l’Information a fait une sortie calomnieuse sur quatre importantes organisations des droits humains qui ont envoyé une lettre à ce sujet au président Hollande?

Malheureusement, les journalistes présents n’y ont pas fait allusion mais cet aveu fera certainement couler beaucoup d’encre, surtout après l’arrestation de Rony Timothée et de Biron Odigé, deux militants politiques de l’opposition très connus et respectivement porte-parole et coordonnateur de la Force patriotique pour le Respect de la Constitution (FOPARC).

On a l’impression que le président Martelly, fort de son aversion pour le parti Lavalas de l’ex-président Aristide, sous-estime les manifestations de ces dernières semaines qui pourraient aboutir à une escalade de la crise politique, surtout après le 12 janvier 2015. En effet, si le président pourra gouverner par décret, en dehors d’un cadre constitutionnel, tout deviendra possible, tant pour l’Exécutif que pour l’Opposition. Cela présage de tous les dérapages.

Enfin, Martelly a annoncé son souhait que la MINUSTAH fasse un retrait graduel d’ici juin 2015,  « mais pour préserver les acquis de ces dix dernières années, puisque cela fait dix ans que ces forces sont là, j’ai proposé  au Secrétaire Général, Ban Ki Moon, d’attendre les élections présidentielles  qui auront lieu en novembre, pour s’assurer qu’en cas de chaos, puisque pour certains c’est le chaos qui devrait régner pour…pour…pour …(pause du président qui sourit en levant les sourcils et les épaules )…que, eux, ils aient une chance ». De quel mois de novembre parle le président lorsque le calendrier électoral des législatives et des présidentielles n’existe même pas? Se rend-il compte de son incohérence?

Sur l’État de droit

martelly-su-tv5« La démocratie est-elle en panne aujourd’hui en Haïti?», a questionné Philippe Dessaint de TV5 Monde. « La démocratie on ne l’avale pas en un jour. On est passé de la dictature à la démocratie en une nuit, sans un apprentissage », a déclaré Martelly. Le président, sans ménager son peuple, a poursuivi en disant que « les Haïtiens ont confondu la démocratie avec l’anarchie. On a tout détruit. Chaque fois qu’un président s’en va, on écrase. Quand est-ce qu’on va s’en sortir? ».

On est passé de la dictature à la démocratie en une nuit? Martelly a-t-il été élu après le 7 février 1986 ou fait-il fi de toutes les luttes qui ont été menées de 1986 à son élection? Est-il le premier président démocratiquement élu?

D’autre part, le président semble oublier que c’est la dictature et/ou les abus de pouvoir qui ont poussé, à chaque fois et en dernier recours, le peuple haïtien à prendre les rues. Qui est coupable? Le peuple haïtien ou les gouvernants? Le président Martelly a-t-il conscience qu’il a dénigré son propre peuple par ses stéréotypes généralement utilisés par les étrangers ?

Philippe Dessaint a d’ailleurs saisi la balle au bond : « Pourquoi y-t-il eu ce tradition de gouvernance aussi terrible, presque  dictatoriale? Quand on revisite cette dernière décennie, il n’y a pas une gouvernance dont on peut dire qu’elle rassemble un certains nombre de critères de loyauté et de respect de sa population. On ne va pas reparler des Duvalier, d’autres ou de Titid, mais il y a une situation quand même très complexe», a-t-il dit.

« Je dirais qu’aujourd’hui nous faisons la différence», a répondu Martelly sans hésiter, ne se rendant même pas compte que Philippe Dessaint parlait de son administration!  « Aujourd’hui, Haïti est classée 47ème  sur la question des libertés de presse, cela veut dire beaucoup pour moi et je dois vous dire que c’est parce que je suis victime et que je l’accepte car la liberté de presse est un outil de la démocratie et je veux le préserver », a-t-il déclaré.

Le président est victime? Victime de quoi, de qui? De la presse? On croit rêver! N’est-ce pas lui qui, en pleine campagne électorale a agressé verbalement le journaliste Gotson Pierre ? Martelly n’est-il pas le premier président de l’histoire d’Haïti à avoir ‘’tchuipé’’ (geste de dédain) le journaliste Eddy Jackson  Alexis qui lui posait une question ‘’au lieu de le complimenter’’, avait dit le président?  N’est-ce pas lui qui avait aussi  lancé l’arrogant « taisez-vous » à la presse lorsqu’il est devenu président?  A-t-il oublié l’agression physique du journaliste Rodrigue Lalanne par un agent de sécurité du président, les menaces du ministre de la communication Rudy Hériveaux, et combien d’autres  attaques contre la presse depuis son arrivée au pouvoir? Et que dire des journalistes achetés par ce pouvoir? J’ai dû moi-même démissionner à cause des accointances du PDG de Radio Métropole, Richard Widmayer, avec ce pouvoir  et des censures illégales de mon émission Métropolis. Qui est victime M. le Président? Comment osez-vous?

Mais le président dépasse souvent toutes les limites. Il en a donné encore la preuve au décès de l’ex-dictateur, Jean-Claude Duvalier, lorsqu’il a exprimé sa tristesse et a salué la mémoire d’un «authentique fils d’Haïti  au nom de l’ensemble du gouvernement et du peuple haïtien». Des mots qui ont choqué les victimes et la majorité des Haïtiens qui, à travers une vague sans précédent de réactions, ont réussi à faire plier le pouvoir duvaliériste de Martelly/Lamothe qui n’a finalement pas organisé, comme il le voulait au préalable, des funérailles nationales pour un homme accusé de crimes contre l’humanité.

martelly-questionne-sur duvalier-sur-tv5Sophie Malibeaux (RFI) est d’ailleurs revenue sur le sujet en disant que «Duvalier est mort de sa belle mort et n’a jamais été jugé. Est-ce que la justice va continuer son travail? », a-t-elle demandé. « Le président Martelly ne juge pas, donc là, il faut voir avec la justice », a rétorqué Martelly en souriant. «C’est une institution qui elle aussi est faible, il faut l’admettre. Les institutions sont faibles en Haïti et c’est ce que nous faisons, les renforcer. Plusieurs personnes ont essayé de m’influencer en me disant ‘’ il faut le (Duvalier) juger’’, mais déjà me demander çà, c’est m’ingérer dans les questions de justice, vous savez? C’est à la justice de faire son travail», a-t-il dit, pendant qu’un grand portrait de Martelly, souriant et donnant une accolade à l’ex-dictateur était projeté en fond d’écran (exactement la photo ci contre).Imaginez l’effet sur 55 millions de personnes, entendre un président parler de justice alors qu’on le voit si chaleureux avec Duvalier. La honte n’a pas été seulement pour lui mais bien pour tous les Haïtien(ne)s.Et voilà l’homme qui se targue de changer l’image d’Haïti sur la scène internationale.

C’était tellement énorme, que le journaliste du Monde, Paulo Paranagua, a demandé à Martelly : «Mais est-ce que vous comprenez que les victimes ont besoin de vérité et de justice? Est-ce vous pensez que du point de vue de la réconciliation de la société avec son histoire, juger Duvalier aurait été important?».

«Certainement», a répondu Martelly en répétant encore que « c’est à la justice de le faire (…) et même quand la Présidence reconnait que c’est un président qui est mort, on n’a pas fait de funérailles officielles parce que c’est un sujet qui divise les Haïtiens. Aujourd’hui pour nous, l’essentiel c’est de réconcilier les Haïtiens pour rebâtir notre pays».

Fin de la première partie correspondant à la pause publicitaire de l’émission.

Nancy Roc, Montréal, le 3 novembre 2014

PHOTOS:

1/ Capture d’écran YouTube

2/Ben Depp, http://www.bendepp.com

3/LUCAS OLENIUK- Toronto Star

4/ Capture YouTube

5/ Rapadoo.com

6 et 7 Captures d’écran YouTube

Source:  Nancy Roc.com