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Je t’imagine


Je t’imagine comme une mer
Qui frissonne de trop de bleu
Sur la complainte des coquillages
Je t’imagine une nuit de fine pluie
Sur l’apesanteur des feuilles mortes
Qui s’obscurcissent de tes yeux

Et fleur. Feuille. Pollen

Je t’imagine fatiguée
Jusqu’au dernier mouvement de tes reins
Comme une main qui caresse mon sexe
Dans un rythme qui vient des plus profondes plénitudes
Je t’imagine tessons des pages froissées
Tel un écho de soif
Dans la démence des mots
Je t’image en trait d’union
Parmi les accords aiguisant
L’aventure de nos mains aveugles
Je t’imagine image fleurie de vert
Maquillée du sifflement du néant
Bousculant l’écriture de tes blessures
Jusqu’à la transcendance des miroirs
Image en clair-obscur
Où s’entrecroisent l’élan de nos gestes

Et fleur. Feuille. Pollen

Je t’imagine à marée basse
Sous les paupières figées de la mer
Cherchant la plénitude des saisons
Pour magnifier les vagues
Dans l’écume du soir

Il est d’autres temps
Pour l’espace qui m’habite
D’autres espaces
Pour le temps que je suis
Et demain j’étais accroché à tes regards
Pour prophétiser l’aventure de nos amours
Courbées sur le vertige des heures
Il est mi-nuit
Et fleur
Feuille
Pollen
Effroyablement mi-nuit dans le poème
Et j’irai hier entre la lumière et l’espace
Cueillir les corolles de nos baisers
Dans l’au-delà de l’amour
Tel un fleuve dans la mer de mon âme

Fred Lafortune

En nulle autre ou l’histoire de quelques-unes de mes folies


À vous…

Ne me demandez pas pourquoi j’écris. J’écris pour guetter cette puissance que garde le verbe sur les choses, scruter ces constantes surprises que me réservent les mots : « N’était-ce que ta chevelure / pour imprimer mon ombre / Dans la brièveté de tes cils / Comme un oeillet dans l’encolure du voyage / Comme un nez hier au visage de la pierre ». J’écris pour être en harmonie avec moi-même. M’approprier le côté thérapeutique de l’Ecrit. Une recherche incessante, née de ce fou et profond désir à trouver mes ailleurs, mes dehors, mes doubles, comprendre qui je suis réellement, même au-delà de notre espace-temps :« J’ai longtemps compris / Qu’il est d’autres univers / Habités par d’autres rumeurs / Qu’il est aussi d’autres silences / Plus légers que ces silences que nous sommes ». Jamais, je n’ai conçu autrement la poésie, car à mon avis, dans tout connu, il y a toujours et sûrement un inconnu. Toujours quelque chose plutôt que rien. Ce qui constitue ma véritable identité. C’est-à-dire, ce sans quoi je ne suis pas. Aussi, saisis-je donc l’occasion de cette réflexion sur ma poésie, pour dire ce que j’entends par ma véritable identité : y a-t-il à se justifier de parler de soi ? Je n’en suis pas très sûr. Parler de soi, surtout quand l’on est poète, ou tout simplement artiste, c’est se demander comment l’on peut y arriver. Il faut une certaine honnêteté bien entendu. Une distance. Un recul par rapport à soi si vous voulez. Et ce recul dépend exactement de cette faculté à se regarder soi-même dans son miroir intérieur, à s’auto évaluer, à se situer par rapport à soi.

Pour revenir à ce que j’appelle mon identité, ma poésie est née d’une profonde blessure. D’une violence extrême. Celle de voir aimer encore un pays qui vous insulte, vous gifle et vous blesse, où l’on devient homme en jouant à la marelle de la mort. Ma rencontre avec la poésie fut brutale. Mes premiers poèmes, écrits quelques années après l’incendie de la maison de mon père en 1991, sous prétexte qu’il était partisan du président Aristide, ce qui d’ailleurs, car ma mère ce jour-là se déguisait en homme pour échapper à la violence et à la furie de ces gens assoiffés de sang, a marqué toute mon enfance, traduisaient déjà l’angoisse et la révolte. C’est à Astruc, là où nous nous étions réfugiés chez mes grands parents, une petite campagne situé à quelques kilomètres de l’Asile, dans l’actuel département de Nippes, que j’ai découvert pour la première fois le plaisir et la puissance imaginaire des mots. Aidé par ma mère, car elle était mon professeur de l’Elémentaire I au Certificat, j’ai appris par coeur des poèmes que je devais réciter dans des fêtes religieuses. Quelques années plus tard, la rencontre à Port au prince de quelques poètes de ma génération tels Duckens Charitable, Coutechève Lavoie Aupont, Juste Jonel, Jacquet Emmanuel, Mlikadols…, a définitivement réveillé ce poète qui sommeillait en moi. J’avais finalement compris qu’il y a urgence d’écrire. Ecrire pour se réinventer. Ecrire pour dire non à l’héritage littéraire, car la poésie n’est pas la masturbation et l’autopréservation d’un petit groupe social. Ecrire pour dire ce pays où les enfants, pour paraphraser René Philoctète, mangent la terre parce que la terre refuse de les nourrir, et, parce qu’ils ont faim tout simplement : « Les milliers d’enfants qui ont faim sur la grand-rue / Non l’envie des enfants de voir la fin de la grand-rue / Non la grand-rue abîmée sous les yeux des enfants blessés par balle… ». Une poésie qui dit la honte et la misère, l’insalubrité et la révolte. Il est particulièrement significatif que la misère et la révolte jouent un rôle important dans la seconde partie de En nulle autre. Vous me pardonnez peut-être cette franchise et cette confidence : je suis parmi ces fils illégitimes de la nation, parmi ceux qui ont appris mal à dormir à coeur ouvert: « Et cette même pauvreté de mon peuple / Je la porte en moi comme la mère son foetus / Comme un fétu l’amour du feu…/ Dans l’instinct de la mort ».

Cependant, j’aurais tort de ne voir dans « En nulle autre » qu’une simple parole de révolte, car ma poésie est née aussi de mes expériences ainsi que mes vécus entant que vodouisant. Les débats soulevés par les occidentaux sur le vodou et, plus précisément, sur le vodou haïtien, ont mis en évidence une espèce de société déchirée par la sorcellerie, l’envoûtement, et même le cannibalisme. J’ai eu une discussion dans un café parisien avec mon éditeur, et d’autres amis écrivains qui étaient là, aussi avec des lycéens avec qui j’ai échangé sur ce sujet; stupéfaits ils étaient, de comprendre que le vodou haïtien est toute une philosophie, une identité collective, une conception du monde, une façon autre de voir la vie. Et c’est cela peut-être qui constitue le point culminant de « En nulle autre »: « Quelquefois je partage ma voix / Avec les bruits des pas que l’on entend la nuit / Quelquefois je cherche avec mon pendule / Quelle force guide mon hochet / À épouser à z’yeux ouverts / Les princes d’outre-tombe ». Pour citer P. Reverdy : la poésie n’est ni dans les mots ni dans les choses mais dans ce que deviennent les mots en atteignant l’âme humaine. C’est ainsi que, par la parole poétique, je cherche au-delà des apparences mécanistes de la science, quelque chose d’autre, presque métaphysique, étrange et infiniment mystérieux.

A regarder de plus près l’histoire des idées, je m’aperçois arriver à une division bipartite de deux concepts opposés : le spiritualisme et le matérialisme. Le premier, tel qu’il apparaît chez saint Thomas d’Aquin, puis repris par Leibniz ou Bergson, voit le réel en tant qu’idée pure et n’a donc de substrat matériel aucun. Le second au contraire, de Démocrite à Karl Max, est strictement contraire dans le sens qu’il voit l’esprit et le domaine de la pensée comme des épiphénomènes de la matière, en dehors de laquelle rien n’existe. Pour moi, je pense qu’ils se sont tous les deux confondus depuis l’âge du Zéro absolu, ce que Lao-tseu appelle le fond unique de l’être et du non être. Il y a une sorte de connivence, à mon avis, entre les deux; une sorte de spiritualisme de la matière ou un matérialisme de l’esprit: «S’entrecroisent nos corps / Dans le symbolisme des rêves »; « C’est vrai que tu m’habites / Fleur transcendantale / Chemins donnant accès à l’au-delà / De l’en-deçà à l’eau de la pierre ». Je ne peux m’empêcher aussi de voir dans « En nulle autre » un espace, si j’ose le dire, où ce qui est, c’est-à-dire le réel, n’est pas. Où même ce qui n’est pas, c’est-à-dire l’illusion absolue, n’est pas. On aurait dit une espèce de néant qui, lui-même en soi, n’est pas: « Par tes cheveux / Je connais le nirvana / Comme fresques sur mur de tes épaules / Rêves de vide sans formes ni symboles / Faisant un saut dans le néant »

Mon écriture – et celle de « En nulle autre » plus particulièrement – met en scène une fusion entre rêve(s) et réalité(s), un lieu où le texte part du particulier au général et vice versa; où des mouvements s’entremêlent, se bousculent, se concilient, se baisent, se côtoient, se partagent…
C’est une perpétuelle complicité entre la musique, la danse, l’érotisme, l’espace-temps, la misère, le spiritualisme et l’ésotérisme. Ce que vous voyez à première vue n’est qu’illusion. L’érotisme n’est que métaphore. Une image. Ce qui demande votre effort pour comprendre le mystère qui se cache en dessous du texte : « L’odeur de la rose au pied de la croix / Née de l’unification de la rumeur divine et celle du monde / Des mathématiques secrètes sur l’ailleurs des nombres / Tes pupilles dans la quadrature du cercle / Ces Templiers rebelles qui gardent / Le secret de tes déhanchements ».

Ne me demandez pas pourquoi, dans « En nulle autre », je parle des métros de Paris, pas des camionnettes boueuses et délabrées de Port au prince. Cette fleur quelque part au Luxembourg, pas ces immondices qui se trouvent le long de la Rivière Bois de Chêne, juste en face du Théâtre National. Ou tout au contraire ces enfants haïtiens qui ont faim sur la Grand-rue, pas ceux de la Palestine, de l’Albanie, du Liban, de l’Éthiopie… Excusez-moi, je vous ai autant compris que vous m’avez déçu. Je n’aime pas ces genres de questions. Surtout pas. Et, elle est d’autant plus provocatrice, ma déception, que je vous ai compris. Ma poésie, je l’assume. Point.

Enfin, ne me demandez rien. Ayant plongé au fond de l’inconnaissable, dans cette quête du moi intérieur, j’en reviens avec « En nulle autre », une folie parmi tant d’autres. Parmi beaucoup d’autres. Votre consécration, je n’ai absolument pas besoin. Je vous en prie. Un vrai poète trouve seul son chemin.

Fred Edson Lafortune, Le Nouvelliste, 14 Août 2009