Survivances africaines dans la culture haïtienne : tchwipe et koupe kout je


Par Hugues Saint-Fort

Poursuivant inlassablement le travail de vulgarisation de la science linguistique, ainsi que de la culture et de la langue créoles que je mets à la disposition de mes compatriotes depuis plusieurs années maintenant, j’aborde aujourd’hui deux aspects des survivances africaines dans la culture haïtienne : il s’agit de deux gestes/mots naturels pratiqués tous les jours par les Haïtiens de toutes les couches sociales en Haïti et dans l’émigration. Ils représentent à mon sens des témoignages remarquables de l’héritage africain dans notre culture créole. Ce sont, parmi d’autres, des survivances africaines dans la culture haïtienne.  Cet article est une description des mots/gestes kreyòl : tchwipe et koupe kout je, une recherche de leurs origines africaines et une analyse de leur disponibilité/usage dans les cultures créoles de la Caraïbe.

Introduction à la description de tchwipe et koupe kout je

Pendant longtemps après l’indépendance d’Haïti en 1804, l’héritage africain de ce pays fut quelque peu méprisé par les classes dominantes haïtiennes, héritières du pouvoir colonial français. Selon le célèbre intellectuel haïtien Jean Price-Mars (1876-1969), « le terme « Africain » a toujours été, est l’apostrophe la plus humiliante qui puisse être adressée à un Haïtien. » (Ainsi parla l’oncle 1928 : 45). C’est Price-Mars qui ouvrit les yeux des élites haïtiennes en leur faisant prendre conscience qu’elles faisaient fausse route à vouloir se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas, c’est-à-dire des Européens. Aujourd’hui, plusieurs décennies après l’éveil à une conscience nationale initié par Price-Mars, il ne fait pas de doute que beaucoup reste encore à faire. Par exemple, sommes-nous conscients de la profondeur de l’héritage africain dans notre vision du monde, ou dans les petits gestes que nous faisons indifféremment, ou des subtilités dans l’usage de notre langue maternelle, le kreyòl (même si les chercheurs en créolistique nous ont beaucoup fait avancer sur ce point…) ? Prenons par exemple le lexème créole « tchwipe » [tʃwipe][1] et l’expression idiomatique « koupe kout je » [koupekoutje]. Ce sont deux gestes que n’importe quel locuteur haïtien fait inconsciemment sans se douter qu’ils ont une longue histoire derrière eux et qu’ils constituent des survivances africaines qui nous relient à une culture que certains croyaient pouvoir rejeter. Qu’en est-il de ces gestes/expressions ?

L’unité lexicale tchwipe[2] fonctionne en créole haïtien en tant que nom et en tant que verbe. Sa prononciation subit plusieurs variations phonétiques : certains locuteurs disent tchipe, d’autres disent tuipe, ou twipe, kwipe, ou kuipe lorsque c’est un verbe. En tant que nom, il est prononcé tchwip, ou tchip, ou tuip, ou twip. La variation étant un phénomène central et incontournable dans les langues créoles en général et en créole haïtien en particulier, la liste des réalisations phonétiques est loin d’être immuable.

L’expression koupe kout je (jye, zye) ne connait pas de variations sauf en ce qui concerne la dernière unité je qui peut devenir jye ou zye. Littéralement, il signifie « couper un coup d’œil » (à quelqu’un), c’est-à-dire « regarder quelqu’un avec mépris, hostilité, malveillance »  Il n’y a pas de traduction littérale pour tchwipe, étant donné que ce mot est d’abord une onomatopée lexicalisée.        

TCHWIPE dans la culture haïtienne

Le texte qui a servi de point de départ à cet article est une recherche conduite par deux linguistes d’origine guyanaise (Guyane anglaise), John et Angela Rickford en 1971 à l’époque où ils étaient doctorants à l’université de Pennsylvanie. Le texte s’intitule « CUT-EYE AND SUCK-TEETH: AFRICAN WORDS AND GESTURES IN NEW WORLD GUISE » (1979).  On notera que ces deux termes anglais constituent les équivalents anglais presque parfaits des termes kreyòl : koupe kout je (cut-eye) et tchwipe (suck-teeth).

Le mot « tchwipe » ou « tuipe » ou « kuipe » est bien connu en kreyòl. Il désigne un son produit par un locuteur faisant passer l’air dans un geste de succion à travers la bouche avec le dos de la langue s’élevant vers la partie molle du palais. La durée et l’intensité de ce son peuvent varier selon les habitudes personnelles ou selon les sentiments du locuteur ou selon l’endroit où il se trouve. Dans la culture créole haïtienne, « tchwipe »  exprime une colère difficilement contenue, une impatience particulière, une irritation, ou une forte réprobation. En général, dans la bonne éducation standard que recevaient dans le temps les jeunes enfants en Haïti, il leur était défendu de « tchwipe » en présence d’un adulte ou des parents.

Pour John et Angela Rickford qui traitent des usages et des significations de “tchwipe” dans le contexte de la société guyanaise et dans la Caraïbe créole anglophone[3] en général « The prohibitions against the use of this gesture are sometimes justified by the claim that it means « kiss my ass » or “kiss my private parts”. .(Les interdictions à l’encontre de l’usage de ce geste se justifient parfois par la déclaration qu’il signifie « lèche mon cul ! », « va chier », ou « va te branler ! ».). [ma traduction].

Le lexicographe Bryant C. Freeman, dans son Haitian-English Dictionary (2004 : 896) présente une dizaine de variations phonétiques de l’entrée « tchwipe » : chwip, chwipe, kipe, kwipe, tchip, tchipe, tchoupe, tchwip, twipe,  définie ainsi : noun : disdainful noise made with the mouth ; verb : to make a disdainful nose with the mouth, smack one’s lips disdainfully or contemptuously ; to scorn, mock.  (non : bruit exprimant du dédain produit avec la bouche ; verbe : produire avec la bouche un bruit exprimant du dédain, produire un petit bruit sec avec les lèvres d’une manière dédaigneuse ou méprisante ; mépriser, ridiculiser). Freeman ne donne pourtant aucun exemple pour  cette entrée.

Valdman et alii (2007) distinguent le verbe transitif : tchwipe et ses variations phonétiques (tchwip, tchip, twipe, tuipe, tuip, kwipe, kuipe) avec sa signification : smack one’s lips disdainfully or contemptuously. (Produire un petit bruit sec avec les lèvres d’une manière dédaigneuse ou méprisante) [ma traduction]. Ils donnent un exemple : Apa w ap tchwipe, ou gen lè pa kontan travay la ! You’re smacking your lips with disdain, you seem not to be pleased with the work!  (La façon dont tu frappes tes lèvres dédaigneusement, tu n’es pas satisfait du travail!) [ma traduction].

La deuxième entrée de Valdman et alii présente le nom « tchwipe » et ses variations phonétiques (tchwip, tchwipe, twipe, tuipe, tuip, kwipe, kuipe) avec sa signification : smacking sound made with lips to express annoyance or disdain. Valdman et alii proposent l’exemple suivant: M fè yon kout tchwip paske l t ap plede anmède m. (I expressed my annoyance by smacking my lips with disdain because he was continuing to bother me.) Un autre exemple proposé par Valdman et alii: Poukisa ou ban m tchwipe sa a? M pa fè ou anyen la pou ou fache. (Why are you smacking your lips with disdain? I didn’t do anything to make you angry). (Pourquoi tu fais ces bruits d’une manière si dédaigneuse? Je n’ai rien fait pour te mettre en colère) [ma traduction].

Donc, le geste ou le bruit de tchwipe dans la culture créole d’Haïti exprime plusieurs sentiments négatifs : le dégoût, la frustration, la provocation, le mépris, le défi…

KOUPE KOUT JE dans la culture haïtienne

Si « tchwipe » en tant que production d’un bruit de succion réalisé par le locuteur est un phénomène de créativité lexicale, « koupe kout je » relève d’une toute autre forme de création. C’est un groupe de mots dont le sens est ici métaphorique. Bryant C. Freeman dans son Haitian-English Dictionary (2004: 491) le traduit par « to give a dirty or haughty look; to snub » mais ne donne aucun exemple.

Valdman et alii (2007 :380) traduisent l’expression koupe yon moun kout je ainsi : « to give somebody a dirty or scornful look, glare at » et donne cet exemple: Sanble gen yon pwoblèm nan mitan de medam sa yo paske youn ap koupe lòt kout je. It looks like there’s a problem between these two women because they look at each other with scorn. (Il semble qu’il y ait un problème entre ces deux femmes parce qu’elles se regardent dédaigneusement) [ma traduction].

Il convient de signaler cependant que les définitions proposées par les deux lexicographes américains ne véhiculent pas toutes les nuances exprimées dans l’expression « koupe kout je » en usage dans la culture haïtienne. John et Angela Rickford (1979 : 358) dans leur article mentionné plus haut sont beaucoup plus complets dans leur description :

In Guyana, cut-eye is a visual gesture which communicates hostility, displeasure, disapproval, or a general rejection of the person at whom it is directed…The basic cut-eye gesture is initiated by directing a hostile look or glare in the other person’s direction. This may be delivered with the person directly facing, or slightly to one side. In the latter position, the person is seen out of the corners of the eyes, and some people deliberately turn their bodies sideways to achieve this effect. After the initial glare, the eyeballs are moved in a highly coordinated and controlled movement down or diagonally across the line of the person’s body. This “cut” with the eyes is the heart of the gesture, and may involve the single downward movement described above, or several sharp up-and-down movements. Both are generally completed by a final glare, and the entire head may be turned away contemptuously from the person, to the accompaniment of a loud suck-teeth.”

(« En Guyane anglaise, “cut-eye” est un geste visuel qui traduit une hostilité, un mécontentement, une désapprobation, ou un rejet général de la personne vers laquelle il est dirigé. Le geste de base du « cut-eye » s’affiche quand on dirige un regard hostile ou furieux en direction de l’autre personne. Cela peut être fait avec la personne qui lance le regard hostile faisant face directement ou légèrement penchée d’un côté. Dans cette dernière position, la personne est vue du coin des yeux, et certains délibérément se tournent latéralement afin de bien marquer l’effet qu’ils veulent produire. Après le regard furieux du début, les yeux bougent au prix d’un mouvement hautement coordonné de bas en haut ou diagonalement tout au long du corps de la personne. Ce « coup »  par les yeux  représente le cœur du geste, et peut impliquer le mouvement de bas en haut décrit plus haut, ou plusieurs mouvements précis exécutés du haut vers le bas. Généralement, les deux mouvements sont complétés par un dernier regard furieux, avec la tête tournée  loin de la personne, dédaigneusement, le tout accompagné d’un retentissant bruit de succion ») [ma traduction].

Cette description détaillée de John et Angela Rickford pour la réalisation du « cut-eye » tel qu’il se pratique en Guyane ressemble fort au « tchwipe » haïtien. En fait, il n’y a pas de différence si ce n’est que le nom (l’un anglais, l’autre kreyòl) entre les deux gestes. Il semble que le « koupe kout je » se réalise en Haïti beaucoup plus entre deux femmes (le plus souvent deux rivales) qu’entre deux hommes. Cependant, John et Angela Rickford rapportent que « The gesture of cut-eye is performed most frequently (and most skillfully!) by women. Men do not use this gesture as often and may experience real difficulty in trying to imitate the darting, highly coordinated movement which women can control.” (Le geste du « cut-eye » (koupe kout je) est réalisé plus fréquemment (et le plus talentueusement!) par les femmes. Les hommes ne font pas usage de ce geste aussi souvent que les femmes et peuvent éprouver de réelles difficultés en essayant d’imiter le regard perçant, le mouvement hautement coordonné que les femmes contrôlent si bien.) [ma traduction]. Il est tout de même exceptionnel que les mêmes morphèmes constituant l’expression idiomatique haïtienne se retrouvent aussi en Guyane anglaise et dans la Caraïbe anglophone. C’est le moment d’évoquer les sources africaines de ces deux gestes/expressions.

 

Origines africaines des deux gestes/expressions

Sources africaines ou sources européennes ? La question des origines des langues créoles n’en finit pas de diviser les linguistes spécialisés dans la genèse des créoles. Ce qui est sûr cependant, c’est que les langues créoles possèdent un héritage double : à la fois européen et africain. En ce qui concerne les origines africaines de ces deux gestes/expressions, la difficulté est de déterminer clairement la langue ou les langues qui en sont à l’origine. Mais ils portent les traits généraux de certaines langues de l’Afrique de l’Ouest. Pour John et Angela Rickford (1979 : 364), qui ont travaillé à partir de données recueillies auprès d’informateurs africains natifs,  « the concept of a cut-eye or suck-teeth gesture is familiar in several areas of both West and East Africa, and it is described by a verbal label in many of the languages spoken there. » (le concept de “cut-eye” ou le geste de “suck-teeth” est bien connu dans plusieurs régions de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, et il est décrit par un label verbal dans beaucoup de langues parlées là-bas.) [ma traduction]. Rickford et Rickford (1979 :364) signalent que tous les informateurs africains qu’ils ont rencontrés ont identifié tout de suite le geste de « cut-eye » (koupe kout je) et signalé ces expressions équivalentes :

Twi:                             obu ma ni kyi  __ « He breaks the backs of the eye on me »

Yoruba:                        moloju— “making expressions with your eyes to show disapproval”

Cameroon Pidgin:        no kɔ t  yɔ ai fɔmi —“Don’t cut your eyes on me.”

Banyang:                      a kpot a mek ne me —“She cut her eyes on me.”

Luo:                              kik ilokna wangi —“he is cutting his eyes,”

Swahili:                         usinioloka macho—“to roll one’s eyes.”

Comme cela se passe dans la culture haïtienne ou dans la Caraïbe anglophone,  les informateurs africains de Rickford et Rickford rapportent que le fait de tchwipe (sucking your teeth) en présence des parents était considéré très grossier et pouvait vous garantir une claque ou une fessée. Rickford et Rickford (1979 : 369) rapportent les termes africains équivalents à suck-teeth :

Mende:         i ngi yongi yofoin lɔ nya ma —« He sucked his teeth on me »

Temne:         tòs nè —“to suck to self”

Igbo:          ima osò—“to make a sucking noise with the mouth”

Yoruba:      kpòʃe—vb. “to make a sucking noise with the mouth”

                  òʃe —-(n.) “sucking noise made with the mouth”

Luo:           ichiya — (vb.) “to make suck-teeth noise”

chiyo —(n) “suck-teeth noise”

Krio:           no sɔk yu tit mi —“Don’t suck-teeth me”

Cameroon Pidgin:   no sɔk  yɔ tif fɔ mi—Don’t suck your teeth on me”.

 

Disponibilité/usage de tchwipe et koupe kout je en Haïti

Il ne fait pas de doute que ces deux gestes et expressions sont toujours disponibles pour l’utilisation des locuteurs haïtiens en Haïti. Le président haïtien l’a utilisé en public récemment et cela a causé un tollé dans la presse haïtienne. Pendant combien de temps encore l’usage de ces deux gestes et expressions  se maintiendra-t-il chez les locuteurs haïtiens ? Tant qu’il y a un besoin de leur utilisation dans la société haïtienne, dirions-nous. En fait, il n’y a pas que les locuteurs haïtiens qui les utilisent abondamment. Ils sont disponibles dans les situations appropriées et sont donc utilisés par tous les membres des diasporas noires. L’actuelle ministre de la justice française, Christiane Taubira, originaire de la Guyane française, en a donné une démonstration remarquable récemment, le 21 février 2015 à la télévision française quand, questionnée par la chaine BFM[4] au sujet des insultes proférées à son encontre par le parti d’extrême-droite, le Front national, elle répondit ainsi : « Il y a quelque chose que l’on fait dans les sociétés créoles, en Guyane et ailleurs. C’est un langage très féminin, et c’est ce que ça m’inspirerait : ça s’appelle un « tchip », et c’est un concentré de dédain ».

La ministre française, pour terminer, mime le bruit de succion si caractéristique de ce « concentré de dédain », comme elle le définit.

 

Conclusion

Comment les diasporas noires ont-elles pu conserver ces deux gestes et expressions après tant de siècles ? C’est la force de la culture en tant que pièce maitresse de notre identité de nous donner la possibilité de préserver des traits de notre héritage ethnique malgré la pression pour se conformer aux modèles dominants, spécialement dans les anciennes sociétés coloniales. En ce sens, les langues créoles témoignent admirablement de la capacité à résister aux pressions de toutes sortes, qu’elles proviennent de forces non-linguistiques ou linguistiques. Mais, toute culture est sujette à évolution, est appelée à se transformer quand elle rencontre d’autres cultures, d’autres visions du monde. Que deviendra la culture haïtienne en diaspora dans cinquante ans ?

Hugues Saint-Fort

New York, juin 2015

Références citées     

Freeman, C. Bryant (2004) Haitian-English Dictionary. Fifth Edition, Volume1. Institute of Haitian Studies, University of Kansas/ La Presse Évangélique.

Pompilus, Pradel (1973) Contribution à l’étude compare du créole et du français à partir du créole haïtien. Phonologie et lexicologie. Port-au-Prince : Éditions Caraïbes.

Price-Mars, Jean (1973) [1928] Ainsi parla l’oncle. Ottawa : Leméac.

Rickford, John A. et Rickford, Angela E. (1979) Cut-eye and Suck-teeth: African words and gestures in New World guise. Readings in American Folklore, pps. 355-373 edited by Jan Harold Brunvand. New York: W.W. Norton & Company, Inc.

Valdman, Albert et alii (2007) Haitian Creole-English Bilingual Dictionary. Indiana University, Creole Institute.     

[1] Les mots entre crochets sont écrits en alphabet phonétique international (API)

[2] La consonne affriquée [tʃ] du kreyòl dans le mot tchwipe possède un faible rendement phonologique dans le système consonantique du kreyòl. Pompilus (1973 :1) signale qu’il sert à distinguer [jõ tʃak] (maladie de l’espèce gallinacée, et [Jõ tƷak] (un cric), l’onomatopée [tʃɔk] et le nom [dƷɔk] (mauvais sort).

[3] Suck-teeth est l’équivalent anglais du kreyòl tchwipe. Il est aussi connu dans l’usage populaire comme stchoops (-teeth) or chups (-teeth) dans toute la Caraïbe anglophone.

[4] http://www.bfmtv.com/politique/quand-christiane-taubira-tchipe-le-front-national-862879.html

Frank Lloyd Wright au patrimoine de l’UNESCO


Price Tower, Bartlesville, Oklahoma

Photo: Lane Pearman / CCPrice Tower, Bartlesville, Oklahoma

Pas un, mais plutôt dix. Après avoir marqué les temps modernes, l’oeuvre bâtie de Frank Lloyd Wright (1867-1959) devrait trouver sa marque dans la Liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), estiment les États-Unis. Une demande officielle d’inscription de 10 bâtiments célèbres, érigés entre 1906 et 1969, et imaginés par l’architecte vient d’ailleurs d’être déposée auprès de l’organisme international. Le musée Guggenheim de New York, la maison Hollyhock de Los Angeles, mais également la résidence privée Fallingwater de Mill Run en Pennsylvanie sont du nombre.

Cette requête représente la première tentative des États-Unis de faire reconnaître par l’UNESCO l’importance patrimoniale de plusieurs composantes de son architecture moderne. Elle est orchestrée par le ministère américain du Patrimoine, avec la complicité de la Frank Lloyd Wright Building Conservancy.

Emblématiques

Les constructions choisies sont « les plus emblématiques, les plus accomplies et innovantes des 400 oeuvres de Frank Lloyd Wright, indique d’ailleurs l’organisme par voie de communiqué. Ces pièces maîtresses illustrent dans leur ensemble la diversité de cette architecture vivante et organique, autant dans l’abstraction des formes que l’utilisation des nouvelles technologies et l’intégration magistrale des matériaux dans l’espace et l’environnement ».

Sur les 1007 lieux ou bâtiments inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, 22 à peine sont sur le territoire américain. L’architecture moderne y est encore sous-représentée avec, entre autres, l’emblématique opéra de Sydney, dessiné par Jørn Utzon, la cité du modernisme de Berlin, réalisée parLudwigHoffman et MartinWagner ou encore la ville de Brasília, terrain d’expérimentations architecturales menées par l’urbaniste Lucio Costa et l’architecte OscarNiemeyer.« Une telle reconnaissance serait particulièrement appropriée, écrit la Frank Lloyd Wright Building Conservancy dans son document de présentation des dix constructions de Wright. Elle encouragerait un débat sur l’impact de ce travail sur le développement de l’architecture moderne internationale, qui fait partie de notre patrimoine culturel mondial commun. »

Les représentants de l’UNESCO vont être invités à visiter dans les prochains mois les 10 bâtiments soumis à la liste par les États-Unis.

Price Tower, Bartlesville, OklahomaCentre communautaire Marin County, San Rafael, CalifornieMusée Solomon R. Guggenheim, New YorkTaliesin West, Scottsdale, ArizonaMaison Herbert et Katherine Jacobs, Madison, WisconsinFallingwater, Mill Run, PennsylvanieMaison Hollyhock, Los Angeles, CalifornieTaliesin, Spring Green, WisconsinLa maison Frederick C. Robie, Chicago, IllinoisLe temple Unity d’Oak Park, IllinoisL’architecte Frank Lloyd Wright en mars 1957 lors d’une visite de la Robie House, sur Woodlawn Avenue, à Chicago.

Quand les chiens font de l’espionnage


JosephFor Whom The Dogs Spy

Haiti: From the Duvalier Dictatorships

To the Earthquake, Four Presidents, and Beyond

By Raymond A. Joseph

Arcade Publishing, New York, 2015

 

Par Hugues Saint-Fort

Le titre du livre de Raymond A. Joseph « For Whom the Dogs Spy » (Pour qui les chiens font-ils de l’espionnage) semble être un clin d’œil mi- ironique, mi- fictionnel au titre du fameux roman d’Ernest Hemingway « For Whom the Bell Tolls » (Pour qui sonne le glas, 1940). Mais là s’arrête toute comparaison entre le chef-d’œuvre du grand romancier américain et le récit des expériences de Raymond A. Joseph qui a été plongé au cœur de la politique haïtienne depuis les débuts de la dictature de la dynastie sanglante des Duvalier jusqu’aux retombées politiciennes du tremblement de terre meurtrier de janvier 2010, en passant par les périodes de l’après-duvaliérisme, des premières élections démocratiques en Haïti qui ont vu la victoire de Jean-Bertrand Aristide et de sa famille politique, Lavalas, sans parler de l’émergence de la présidence de Michel Joseph Martelly déployant « a pattern reminiscent of the emergence of the Duvalier dictatorship » (pg. 243) (un modèle évocateur de la naissance de la dictature de Duvalier) [ma traduction].

Le contenu du titre se réfère, comme Raymond Joseph l’explique, à un incident qui lui est arrivé en Haïti en octobre 1960, à Frères, près de Pétionville, quand un chien noir est venu tourner autour de lui et d’un de ses amis alors qu’ils se relaxaient aux abords d’une piscine. Pour Joseph, cette présence du chien noir ne signifiait pas grand-chose, mais pour son ami, le chien noir représentait une force surnaturelle envoyée par une puissance maléfique, peut-être Duvalier lui-même, pour les espionner. Toute une partie du livre développe la thèse selon laquelle le dictateur François Duvalier s’est maintenu au pouvoir en utilisant à son profit les profondes  croyances superstitieuses d’une grande partie des masses haïtiennes pour contrôler le mental du peuple haïtien. Certaines des réalisations de Joseph (en particulier la mise sur pied de Radio Vonvon) ont été des tentatives pour libérer le peuple haïtien de l’emprise mystifiante du dictateur.

Très peu d’immigrants haïtiens (particulièrement parmi ceux de la première génération) vivant en Amérique du Nord n’ont pas entendu parler de Raymond A. Joseph. Avec son frère Léo, l’avocat Georges D. Rigaud, le psychiatre Glodys St. Phard, et l’éducateur Clausel Théard, il a fondé en  1971 l’hebdomadaire haïtiano-américain « Haïti-Observateur » qui a été le point de repère, la lecture obligée, dès le début du week-end, des grandes communautés immigrantes haïtiennes de New York, Boston, Miami, Montréal durant ces quarante-cinq dernières années. Mais, c’est lui aussi qui a été avec deux autres opposants à la dictature naissante de Duvalier, Dr. Jean-François Conte et Raymond Chassagne, tous deux aujourd’hui décédés, à l’origine de la fameuse Radio Vonvon des années 1960-1970, qui a fait trembler les bases du pouvoir duvaliériste en Haïti (pg.73).

Si Haïti-Observateur a fait la joie de nombreux immigrants haïtiens aux États-Unis, tout heureux de trouver un journal écrit en français qui leur parlait du pays et de ce qui s’y passait, un certain nombre en revanche tachait de prendre ses distances avec cet organe de presse qui, disait-on, ne faisait que répandre des « zen » (potins, commérages). En fait, l’hebdomadaire était placé dans une situation quelque peu difficile : coincées entre le besoin d’assurer la mobilisation des immigrants haïtiens qui voyaient se prolonger indéfiniment l’exil américain dans le froid et les boulots de fortune, et la volonté d’en finir avec une dictature de plus en plus sanglante, les têtes pensantes du journal devaient tenir compte des réalités politiques du moment : les répercussions de la guerre froide en Haïti qui prenaient la forme d’un anticommunisme primaire qui sévissait alors,[1] la pénétration dans le pays profond d’une nouvelle forme de protestantisme à partir de la fin des années 1960…

Quant à Radio Vonvon qui émettait sur ondes courtes depuis la Cinquième Avenue en plein cœur de New York, elle a représenté un autre aspect de cette guerre des ondes qui était si fréquente à l’époque de la guerre froide. Il y avait, provenant de Cuba, la voix de l’écrivain haïtien René Depestre lançant ses attaques contre le régime répressif de Duvalier, et, provenant de Moscou, la voix de René Théodore et son enseignement idéologique. Ray Joseph prend soin de rappeler tout le fossé qui séparait les émissions de Radio Vonvon apportant une bouffée d’air frais sur les ondes (du comique, des variétés françaises, avec Johnny Halliday, Sœur Sourire et américaines ou britanniques, avec Elvis Presley ou les Beatles) de ces deux émissions lourdement idéologiques qui provenaient de deux bastions du communisme international. Il y eut un peu plus tard une émission radiophonique, L’Heure haïtienne, dirigée vers les immigrants haïtiens de New York puisqu’elle émettait depuis la radio universitaire de Columbia University, WKCR, à Manhattan.

Pour en revenir à Radio Vonvon, le personnage le plus marquant de ses émissions était un certain Brother Chicken (un pseudonyme, bien sûr) qui prenait un plaisir fou à se moquer de François Duvalier. Il appelait Duvalier, « Divage », il racontait à l’antenne les anecdotes les plus invraisemblables sur lui, telles ses aventures sexuelles avec sa secrétaire Francesca « France » St. Victor, ou ses sautes d’humeur bien connues. C’est au cours d’une de ces sautes d’humeur que, d’après ce que raconte Ray Joseph, le dictateur se fit mal au poignet en tapant rageusement sur son bureau et hurla de détruire ce poste de radio maudit, ce « Vonvon ». C’est ainsi que le nom « Vonvon » fut attribué à la station de radio (cf. pg.83).

Ray Joseph raconte dans « For Whom the Dogs Spy » un épisode extraordinaire de la question de la langue en Haïti et son omniprésence dans tous les aspects du problème sociolinguistique d’Haïti. La plupart des programmes de Radio Vonvon  étaient conduits en langue créole, comme l’explique Ray Joseph, mais le français n’était pas complètement banni, « because we still harbored in our midst those who believed that the only way to express intellectual thought was in French » (parce que nous abritions encore parmi nous des gens qui croyaient que la langue française était le seul moyen d’exprimer la pensée intellectuelle) [ma traduction]. Certains de ces partisans sans limites du français commençaient à émettre des critiques fortement négatives à l’égard de Brother Chicken. « Some listeners, no doubt among the intelligentsia, asserted that the program was being trivialized by a so-called witchdoctor who was talking trash in a language that was neither French nor Creole ».(pg. 80). (Certains auditeurs, sans doute parmi les intellectuels, affirmaient que l’émission était en train de devenir vulgaire à cause d’un soi-disant ougan qui racontait du n’importe quoi sur les ondes dans une langue qui n’était ni du français ni du créole) [ma traduction].

Soucieux de rester dans les bonnes grâces des membres de son  comité de Directeurs, Ray Joseph dut se plier aux volontés des extrémistes francophiles de son comité d’administration et demanda à Brother Chicken de se retirer pour un temps. Cependant, raconte Ray Joseph, deux semaines après le limogeage forcé de Brother Chicken, le Bureau Central de Port-au-Prince, inquiet du silence de Brother Chicken, voulait savoir ce qui lui était arrivé et réclamait son retour sur les ondes, insistant qu’il était le personnage le plus populaire de l’émission. C’est ainsi qu’il put réintégrer Radio Vonvon.

Une fois de plus, la preuve venait d’être faite qu’on ne peut pas se passer de la question des langues en Haïti, surtout de la langue créole, la langue maternelle de tous les locuteurs nés et élevés en Haïti, question qui a toujours été une question politique.

Le chapitre 14, intitulé The Power of the Haitian Vote reste l’un des plus intéressants de l’ouvrage de Ray Joseph par l’analyse que ce dernier fait de la communauté immigrante haïtienne, de ses tendances électorales et de son insertion permanente dans la société américaine. C’est une excellente introduction aux complexités de la politique américaine à New York telle qu’elle est perçue par des yeux haïtiens, et comment les politiciens américains réagissent à l’entrée en scène de ce nouveau groupe ethnique d’immigrants caribéens. Ray Joseph semble avoir pris fait et cause pour les Républicains sous la direction du maire de New York de l’époque, Rudolph Giuliani. Il est évident que Joseph connait bien son sujet de son point d’observation privilégié au Wall Street Journal, le prestigieux quotidien de New York où il travaille depuis un certain nombre d’années. Cependant, avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, il est bon de se demander si les jugements et analyses élogieux qu’il a portés à l’égard de l’ancien maire Giuliani sont encore valables aujourd’hui. Je renvoie à la chronique de Nicholas Kristof dans la section Sunday Review du dimanche 11 janvier 2015, chronique intitulée Race, the Police and the Propaganda. Voir ce lien :

http://www.nytimes.com/2015/01/11/opinion/sunday/nicholas-kristof-race-the-police-and-the-propaganda.html?_r=0

D’autres chapitres du livre méritent une lecture attentive en raison de l’objectivité avec laquelle Ray Joseph traite de certaines crises internes du système politique haïtien. C’est le cas du chapitre 19 intitulé Flaunting Democratic Governance. Dans ce chapitre, Ray Joseph revient sur une des crises fondamentales de la présidence de Martelly, celle qui l’a opposé au Dr. Gary Conille, qui devait être son premier ministre.

Au-delà de la disposition inamicale que les présidents haïtiens ont traditionnellement manifestée contre leurs premiers ministres (depuis 1988), Ray Joseph identifie 3 causes principales à cette crise interne du système politique haïtien :

  • La réticence par le président Martelly d’accepter le Dr. Conille comme son premier Ministre
  • L’enquête sur les charges de corruption pesant sur le président et sur l’un de ses conseillers les plus proches, Jean-Max Bellerive
  • Le problème de la nationalité du président (pgs. 260-261).

Tout au long du livre, Ray Joseph prend soin de mettre son identité de pasteur protestant à l’écart de ses analyses politiques. C’est l’une des grandes forces de For Whom The Dogs Spy, au-delà de l’excellent travail critique qui circule dans les 313 pages de l’ouvrage.

Hugues Saint-Fort

New York, janvier 2015

[1] Nelson Rockefeller, envoyé spécial du président Richard Nixon en 1969 a laissé une photo mémorable prise avec le dictateur au 2ème étage du balcon du palais national et, selon Ray Joseph, « no longer would President Duvalier be considered a pariah by the US administration. » (pg. 114). (L’administration américaine ne pouvait plus considérer le président Duvalier comme un paria) [ma traduction].

Qu’est ce que la métaspora


Montréal, Triptyque, 2014

L’écrivain Joël Des Rosiers vient d’être sacré lauréat du 30ème prix « for Independent Scholars 2014 » attribué par la MLA (Modern Language Association). Ce prix prestigieux de la MLA récompense M. Des Rosiers pour son essai Métaspora. Essai sur les patries intimes. (Éditions Triptyque, Montréal, 2013).

La MLA représente incontestablement l’une des plus célèbres associations d’érudits, de chercheurs spécialisés et d’écrivains dans le monde. Elle s’enorgueillit à juste titre de compter près de 30.000 membres, répartis dans 100 pays. Cette institution américaine « vieille de plus d’un siècle » ne se limite pas uniquement à la langue anglaise mais à toutes les langues modernes, dont le français. Cependant, c’est la première fois qu’elle accorde une distinction à un ouvrage rédigé en français. La francophonie et les usagers de la langue française ne peuvent que savourer une telle récompense qui rejaillit avec un éclat particulier sur le parcours historique d’Haïti.

Le texte qui suit est la version complète de celle, réduite, qui a été publiée dans mon article intitulé « Mes coups de cœur en 2014 », il y a environ deux semaines. Ce 30ème prix lui sera décerné le 10 janvier 2015 à l’occasion d’une cérémonie officielle organisée à Vancouver où se tiendra le Congrès annuel du MLA. Bonne lecture !

Qu’est-ce que la métaspora ?

Il est possible que Joël Des Rosiers, poète et essayiste francophone, psychiatre et psychanalyste résidant à Montréal, soit plus connu au Québec et à travers le monde que dans son pays d’origine, Haïti, qu’il a quitté, il est vrai, vers l’âge de 10 ans. Ceci explique-t-il cela ? Difficile à dire. Toujours est-il cependant que ses recueils et ses essais ont fait l’objet de récompenses prestigieuses de la part des institutions littéraires québécoises, comme peuvent en témoigner l’attribution de prix de haute qualité comme le Prix de la Société des écrivains canadiens en 1997 pour son essai inoubliable Théories caraïbes, le Grand Prix du livre de Montréal 1999 et le Grand Prix du Festival international de poésie de Trois-Rivières 2000 pour son recueil de poésie Vétiver dont on a dit qu’il « compte assurément parmi les dix recueils majeurs de la poésie québécoise ». Rappelons aussi qu’en 2011, Joël Des Rosiers a reçu le prix littéraire le plus prestigieux du Québec, le prix Athanase-David pour la qualité exceptionnelle de son œuvre.

L’œuvre littéraire (poésie, essais) de Joël Des Rosiers, écrivain québécois d’origine haïtienne et d’expression française est remarquable dans la francophonie par le travail considérable que le poète accomplit non seulement sur le langage mais aussi sur la langue. En cela, son œuvre se révèle suprêmement linguistique puisque la linguistique, comme on le sait, est l’étude scientifique du langage et des langues. On s’en rend compte par le titre de son dernier essai Métaspora, néologisme construit avec le préfixe dissyllabique méta- hérité du grec méta signifiant, entre autres, ‘à propos de’, ‘sur’…, et de spora, racine grecque qui a servi à former le mot diaspora, entré définitivement dans le vocabulaire actif des locuteurs du créole haïtien. Métaspora renvoie à métalangage, c’est-à-dire un langage qui permet de parler du langage, qui prend la langue comme objet. Un métalangage est un langage qui est utilisé pour décrire et analyser une langue. Par exemple, la phrase suivante : En français, le phonème /p/ comme dans le mot peau [po] est une occlusive, orale, non-voisée, bi-labiale, est un métalangage. Cette description veut dire qu’il y a une «fermeture complète, mais momentanée, de l’appareil articulatoire  » dans la réalisation d’une occlusive, que l’air passe uniquement par la bouche (c’est un phonème oral), que les cordes vocales ne vibrent pas (le phonème est non-voisé), et qu’il y a un contact entre les lèvres supérieure et inférieure (c’est un phonème bi-labial). On parle d’une langue avec des mots métalinguistiques. Joël Des Rosiers se sert donc d’un métalangage, comme il l’explique lui-même dans la première page de garde de son essai.

 Une métaspora pourrait donc être une explication, une réflexion d’ordre plus élevé sur le concept de diaspora. Joël Des Rosiers écrit : « Si le concept de diaspora, idéaliste et romantique, s’étaye d’un retour des souvenirs, réels ou fantasmatiques, du fait de se ressouvenir d’une origine perdue, celui de métaspora cherche à rendre le devenir présent. Il s’agit d’un ensemble d’actes rendant lisibles et actuels les événements à venir. » (pg. 35).

Le concept de métaspora semble avoir été en gestation dans la réflexion littéraire de Des Rosiers depuis de longues années si l’on se réfère à la toute première occurrence de l’adjectif métasporiques dans son essai fondateur Théories caraïbes publié en 1996 :

« Chaque écrivain, aux prises avec sa propre mythologie, œuvre pour forger des espaces post-nationaux, au sein du mouvement général des peuples.

Espaces que j’appellerai métasporiques : méta-sporiques au lieu de dia-sporiques : à partir des contradictions liées à l’origine, au sexe et à la différence. » (Théories caraïbes, Montréal, Triptyque, 1996, p.162).

Joël Des Rosiers appelle métaspora la constitution d’une « mouvance instable » de peuples nombreux, sujets égarés au cœur d’espaces post-nationaux, « un ensablement qui grippe les centres où ils vivent et envers lesquels ils se réservent, en endossant de multiples allégeances et autant de dissensions. » (p.30).

Le concept de métaspora dépasse celui, réducteur et galvaudé, de diaspora qui a acquis en Haïti des connotations honteusement péjoratives et injurieuses. Pour le locuteur haïtien vivant sur la terre de départ, le rapport à la diaspora est teinté d’hostilité chronique, le terme acquiert lentement des sèmes d’individu du dehors, réduit à l’état de dépatrié, d’êtres mal dégrossis, égoïstes et oublieux de leur terre de naissance.

L’usage du terme métaspora sera-t-il en mesure d’effacer le caractère haineux du mot diaspora dans la conscience collective et individuelle haïtienne ?

Comment la métaspora peut-elle corriger ce regard suprêmement négatif porté sur elle par la diaspora ? Difficile problème que le changement de dénomination—de diaspora à métaspora—ne peut en aucune façon résoudre. En effet, on ne peut changer des mentalités qu’à partir de l’installation de nouvelles mentalités qui prennent naissance dans des réouvertures, de nouvelles créations, de nouveaux contacts entre les deux groupes.

En sous-titrant son ouvrage « Essai sur les patries intimes », Joël Des Rosiers nous force à nous poser de sérieuses interrogations : en quoi la patrie qui relève de l’ordre du collectif, du groupe, peut-elle être intime ? Quel rapport peut-il y avoir entre la collectivité et l’intimité ? Pourtant, c’est à partir de ce point qu’il nous faut nous déplacer si nous voulons comprendre ce que Des Rosiers veut nous transmettre. Comme Borges, Des Rosiers, grand voyageur par excellence, « enrichit son intimité avec les lieux où il vit et où il a vécu dans la mesure où il garde une conscience exquise de sa dignité d’étranger souffrant. Lieux, visages, objets, autant de « patries intimes » qu’il transporte partout avec lui. » (p.35).

Métaspora est divisé en trois grandes parties. La première s’intitule Esthétique et littérature de la métaspora (pgs. 33-165), la deuxième partie s’intitule Dialogues (pgs. 169-232), la troisième partie a pour titre Modes de fabrique et autres applications (pgs. 235-321).

C’est dans la première partie que Des Rosiers propose sa définition de métaspora. Pour Joël Des Rosiers, la métaspora est « la perversion digitale de la nostalgie », dont le poète dit qu’elle est, comme la littérature, la survivance de ce qui ne veut pas mourir. (pg. 34). Mais, les mérites de la nostalgie, selon Joël Des Rosiers, sont remarquables : « elle est réversible et permet de remonter le temps à la recherche d’états originaires indispensables au réenchantement du présent. Elle est douée en ce qu’elle permet d’échapper à un présent médiocre pour renouer avec un passé fastueux. Elle consolide les identités fragilisées par la globalisation numérique en soulageant les angoisses existentielles, sorte de réparation factice des traditions et des rituels d’appartenance culturelle. » (pg.34).

On trouve aussi dans cette première partie deux études remarquables, l’une porte sur Marie Ndiaye et est intitulée « Apocalypses intimes chez Marie Ndiaye. Limes et limites de la métaspora ». Marie Ndiaye a été récompensée du Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes après avoir obtenu le Femina en 2001 pour Rosie Carpe. L’autre étude porte sur Maryse Condé et est intitulée Le livre du devoir ou les maternités impitoyables de Maryse Condé.

Il y a dans la deuxième partie deux textes que personne qui s’intéresse vraiment aux thématiques du déracinement, de l’errance, de l’exil, de la migration, toutes thématiques chères à certains écrivains du Québec, ne se hasardera à manquer. Ces deux textes sont Brûlerie Saint-Denis (pg. 171-190) et Questions pour Ile en ile pg.191-202). Joël Des Rosiers développe, explique, discute dans ces deux textes la genèse de sa carrière littéraire de poète et son parcours scientifique de médecin psychiatre et de psychanalyste. Vers la fin du texte, Des Rosiers partage avec le lecteur cette confession : « Écrire, c’est une transformation de la vie, ce n’est pas la vie qui doit devenir de la littérature. C’est la littérature qui doit être vécue. Dans le sens où écrire pour moi était une véritable transformation de ma vie. Je suis devenu l’homme que je suis aujourd’hui par le livre. …L’autre transformation de ma vie a été la poésie des faits, la science : la médecine. J’ai fait deux spécialités : la chirurgie générale et la psychiatrie, ce qui veut dire que j’ai une vie consacrée à la médecine…Dans mon travail, cette lutte constante pour la vie est l’une des tangentes de la médecine, le constat de décès en est l’autre. Je dirais comme Céline : « Je suis médecin ; ma seule passion, c’est la médecine. » Je pourrais reprendre ça à mon compte. Ce n’est pas que la médecine soit plus importante que la littérature. On me demande quelquefois : « êtes-vous plus ceci ou plus cela ? » ça ne m’intéresse pas de savoir ça, je ne vis pas comme ça du tout. Je ne pourrais pas l’un ou l’autre, je suis l’un et l’autre. » (pg. 200). Dans la vie littéraire de Joël Des Rosiers, médecine et littérature occupent une place de premier plan, semblent puiser leur énergie à une source unique, s’accompagnent, entrent en résonance, se heurtent ou se confortent.

Dans Métaspora, Joël Des Rosiers révèle une fois de plus l’étendue de son érudition qui traverse de multiples domaines du savoir, depuis les littératures européennes et caribéennes en passant par l’histoire, la philosophie, sans oublier le cinéma, la musique et les arts visuels contemporains. Ce qui est pertinent, c’est qu’il intègre ces différents pans du savoir dans sa création littéraire et sa réflexion générale. Métaspora en est l’exemple le plus achevé. C’est un livre dense, multidimensionnel, dont la lecture exige quelques efforts. Parce que le mot métaspora participe du culte des ancêtres du langage, tout en faisant resplendir les esthétiques de nos jours à venir, les secrets de ce mot inventé de toutes pièces et qui donnent une puissance maximale au langage seront « toujours accessibles à la sincérité des soifs longues. »1

Hugues Saint-Fort

New York, décembre 2014


1 Aimé Césaire, « Patience des signes », dans Ferrements, Paris, Seuil, 1960, p.39.

Mes coups de coeur en 2014


Par Dr  Hugues Saint-Fort

Cela fait la sixième année consécutive que je publie en cette période  mes « coups de cœur », sorte de mini recensions ou résumés de recensions plus étoffées des meilleurs ouvrages ou documentaires qui m’ont séduit durant ces douze mois. Cette année, plus que toute autre peut-être, a vu la publication de remarquables textes de fiction et de non fiction de quelques nouveaux écrivains haïtiens. Décidément, que serait Haïti sans sa littérature ? Bonne lecture !

1 . Bain de lune, roman

 Par Yanick Lahens

Sabine Wespieser, Éditeur, Paris 2014

Incontestablement, le meilleur texte de fiction de Yanick Lahens qui a déjà publié deux magnifiques romans La couleur de l’aube (2008, prix RFO 2009) et Guillaume et Nathalie (Prix Caraïbes 2013) ainsi qu’un récit bouleversant Failles (2013), avant d’être récompensée en novembre dernier par le Femina pour Bain de lune.

Ce roman témoigne d’une connaissance poussée de la vie et du quotidien des paysans haïtiens, apporte la preuve que la romancière a effectué un nécessaire travail ethnologique de premier ordre et qu’elle est restée sensible aux conditions de vie, aux désirs, à la vision du monde du paysan et de la paysanne en Haïti. Il raconte l’histoire se déroulant sur quatre générations de deux familles haïtiennes résidant à Anse Bleue, un village d’Haïti. Ces deux familles sont les Lafleur et les Mésidor et elles s’entredéchirent pour des histoires de terre. A partir de ce cadre général récurrent dans le déroulement des existences paysannes haïtiennes, Yanick Lahens a dressé un immense tableau débordant de poésie qui décrit la vie dans une campagne haïtienne où les dieux se mêlent aux hommes, où le pouvoir des méchants tantôt prend le dessus, tantôt est rejeté, où les dictatures se succèdent sous une forme ou une autre.

Deux personnages principaux se détachent de l’histoire racontée dans cette fiction : d’une part, Olmène Dorival, petite marchande pauvre, fille d’un pêcheur et d’une paysanne, élevée dans la tradition paysanne de soumission aux hommes, d’autre part, Tertulien Mésidor, riche, puissant, fier, grand propriétaire terrien, symbole complet de l’omnipotence masculine dans la campagne haïtienne. Pourtant, Olmène Dorival réussit à faire échec à la tradition de soumission aux hommes et à gagner son indépendance tandis que Tertulien Mésidor disparait dans les poubelles de l’histoire.

La thématique des dieux / divinités du vodou occupe le devant de la scène dans la fiction racontée par Yanick Lahens. Ces dieux s’installent dans le quotidien permanent de tous les personnages. Presque pas une page du roman n’est tournée sans la présence de Legba, d’Agwe, de Zaka, d’èzili Dantò, de Ti-Jan Petwo, de Danbala, d’Ogou, des Envizib, des Mistè…

L’autre thématique centrale du roman que la romancière déroule avec un art littéraire expert est la dictature et ses effets meurtriers sur la population. Cette dictature entre en scène à partir de 1960, mais c’est à partir de 1963, ainsi que le raconte la narratrice, que la dictature dirigée par l’homme qui portait un chapeau noir et d’épaisses lunettes prit possession de la ville, des cœurs et des esprits : « En septembre 1963, l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses recouvrit la ville d’un grand voile noir. Port-au-Prince aveugle, affaissée, à genoux, ne vit même pas son malheur et baissa la nuque au milieu des hurlements de chiens fous. La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs. Jamais ces événements ne firent la une des journaux. »  (p.112).

Au-delà de la description de l’implacable et permanente condition des paysans vaincus par la souffrance, les abus, la faim, l’exclusion sociale, ce roman séduit par la beauté de la langue et du style, les mots simples mais puissants, la poésie parfois douce et fascinante, parfois violente et accrochante de chaque scène, chaque narration, chaque commentaire. Il n’est pas du tout étonnant qu’il ait obtenu le prix Femina. Bain de lune fera date dans l’histoire littéraire haïtienne.

Une version plus longue de cette recension a été publiée dans l’hebdomadaire haïtien Haïti En Marche, et sur le site Potomitan.

2 . Métaspora. Essai sur les patries intimes

Par Joël Des Rosiers

Triptyque, Montréal, 2014

Le concept de métaspora semble avoir été en gestation dans la réflexion littéraire de Des Rosiers depuis de longues années si l’on se réfère à la toute première occurrence de l’adjectif métasporiques dans son essai fondateur Théories caraïbes publié en 1996 :

« Chaque écrivain, aux prises avec sa propre mythologie, œuvre pour forger des espaces post-nationaux, au sein du mouvement général des peuples.

Espaces que j’appellerai métasporiques : méta-sporiques au lieu de dia-sporiques : à partir des contradictions liées à l’origine, au sexe et à la différence. »(Théories caraïbes, Montréal, Triptyque, 1996, p.162).

Joël Des Rosiers appelle métaspora la constitution d’une « mouvance instable » de peuples nombreux, sujets égarés au cœur d’espaces post-nationaux, « un ensablement qui grippe les centres où ils vivent et envers lesquels ils se réservent, en endossant de multiples allégeances et autant de dissensions. » (p.30).

Le concept de métaspora dépasse celui, réducteur et galvaudé, de diaspora qui a acquis en Haïti des connotations honteusement péjoratives et injurieuses. Pour le locuteur haïtien vivant sur la terre de départ, le rapport à la diaspora est teinté d’hostilité chronique, le terme acquiert lentement des sèmes d’individu du dehors, réduit à l’état de dépatrié, d’êtres mal dégrossis, égoïstes et oublieux de leur terre de naissance.

L’usage du terme métaspora sera-t-il en mesure d’effacer le caractère haineux du mot diaspora dans la conscience collective et individuelle haïtienne ?

Comment la métaspora peut-elle corriger ce regard suprêmement négatif porté sur elle par la diaspora ? Difficile problème que le changement de dénomination –de diaspora à métaspora— ne peut en aucune façon résoudre. En effet, on ne peut changer des mentalités qu’à partir de l’installation de nouvelles mentalités qui prennent naissance dans des réouvertures, de nouvelles créations, de nouveaux contacts entre les deux groupes.

Dans Métaspora, Joël Des Rosiers révèle une fois de plus l’étendue de son érudition qui traverse de multiples domaines du savoir, depuis les littératures européennes et caribéennes en passant par l’histoire, la philosophie, sans oublier le cinéma, la musique et les arts visuels contemporains. Ce qui est pertinent, c’est qu’il intègre ces différents pans du savoir dans sa création littéraire et sa réflexion générale. Métaspora en est l’exemple le plus achevé. C’est un livre dense, multidimensionnel, dont la lecture exige quelques efforts.

Une version plus longue et plus étoffée de cette recension paraitra bientôt sur d’autres canaux médiatiques.

  1. Haïti Noir 2. The Classics.

Edited by Edwidge Danticat

Akashic Books, New York, 2014

Si le premier Haïti Noir se conformait assez strictement aux paramètres du genre noir, Haïti Noir 2. The Classics se veut beaucoup plus éclectique, moins limité au crime et à la fiction « Noir ». Les auteurs choisis par Danticat ont été recrutés aussi bien parmi les grands classiques de la littérature haïtienne d’expression française (Jacques-Stephen Alexis, Jacques Roumain, Ida Faubert), que chez les grands contemporains (Lyonel Trouillot, Dany Laferrière, Georges Anglade, Paulette Poujol Oriol) qui révèlent la profondeur du paysage littéraire haïtien ou chez le petit groupe qui constitue l’inévitable relève de la littérature haïtienne de demain (Emmelie Prophète, Jan J. Dominique, Michèle Voltaire Marcelin, Roxane Gay.)

Précédé par une introduction de Danticat, Haïti Noir 2 The Classics est divisé en trois parties. Chaque partie comporte un titre et est introduite par un poème qui met en relief le ton et l’atmosphère psychologique des histoires qui sont regroupées sous cette partie. A travers le titre de la première partie Hunted / Haunted (pourchassé / obsédé) et en suivant le contenu du très beau poème Praisesong fort Port-au-Prince (éloges pour Port-au-Prince) écrit par Danielle Legros Georges, le lecteur découvre six courtes histoires. Elles nous font voyager soit au cœur de la haute et oppressante société bourgeoise de Port-au-Prince de la fin des années 1920, minée par l’hypocrisie, la corruption et le sous-racisme des classes dominantes mulâtres dans « Preface to the Life of a Bureaucrat » (Préface à la vie d’un bureaucrate) de Jacques Roumain, soit au milieu de la misère et de la violence d’un bidonville dans « Children of Heroes » (Les Enfants des Héros) de Lyonel Trouillot. Entre ces deux textes extrêmes dans leur peinture de la société haïtienne, Danticat a inséré quatre histoires de fiction « Noir » où dominent le mysticisme vodou et le surnaturel typique des récits populaires haïtiens.

La 2ème partie, intitulée « Seduced » (Séduit) est introduite par le bouleversant poème « Remember One Day » (Rappelez-vous un jour) écrit par Emmelie Prophète. « Rêve haïtien » est le titre de la première nouvelle qui ouvre cette deuxième partie et est écrite par Ben Fountain, l’un des deux auteurs américains dont les textes figurent dans cette anthologie. Bien qu’il contienne certaines références à la culture vodou, le texte de Ben Fountain ne fait intervenir ni le crime ni la peur du surnaturel vodou (même si l’action du récit se déroule dans l’ambiance mortifère de l’après-coup d’état de 1991-1994) dans cette superbe histoire psychologique à base de partie d’échecs, d’art pictural haïtien et d’allusions épidermiques.

La troisième partie intitulée « Losing My Way » (Perdre ma route) est introduite par le poignant poème « I just Lost My Way » (J’ai juste perdu ma route) d’Ezili Dantò. On y trouve cinq courtes histoires : « The Mission » de Marie-Hélène Laforest, « Dame Marie » de Marilène Phipps-Kettlewell, « Barbancourt Blues » de Nick Stone,« Surrender » de Myriam J. A. Chancy, et « Things I know About Fairy Tales » (Ce que je sais au sujet des contes de fée) par Roxane Gay. C’est la dernière nouvelle de cette troisième partie. Elle raconte l’histoire d’une « dyaspora » qui est kidnappée au cours d’un séjour en Haïti pour visiter sa mère. Le texte écrit à la première personne déborde de sarcasme et d’ironie dirigés vers tout le monde : les kidnappeurs, le mari de la narratrice, ses amis, jusqu’à la narratrice elle-même…Roxane Gay possède un talent littéraire énorme et représentera à coup sûr l’une des meilleures écrivaines de sa génération.

Une version plus détaillée de cette recension a paru sur Potomitan et dans divers forums haïtiens de discussion.

  1. Haiti. Trapped In The Outer Periphery

Par Robert Fatton Jr.

Lynne Rienner Publishers, Inc. 2014

Robert Fatton, professeur de Gouvernement et d’Affaires étrangères à l’université de Virginie est l’auteur de : « Haïti : Trapped In the Outer Periphery ». Il avait publié auparavant: « Predatory Rule: State And Civil Society in Africa »; « Haiti’s Predatory Republic: The Unending Transition to Democracy » (2002); « The Roots of Haitian Despotism » (2007), en plus de dizaines d’articles parus dans des revues arbitrées et spécialisées. Il représente, avec Robert Maguire, Alex Dupuy et Carole Charles les 4 universitaires spécialistes de  politique haïtienne auxquels les journalistes étrangers le plus souvent anglo-saxons font appel pour éclaircir un point brûlant de l’actualité politique haïtienne. S’appuyant sur les travaux de Douglas North (1981) et de Michel-Rolph Trouillot (1990) il a introduit le concept de « predatory state » (l’état prédateur) pour expliquer le fonctionnement de l’État haïtien dans ses rapports avec les masses haïtiennes et la société civile en général. Dans son livre « Haiti’s Predatory Republic :The Unending Transition to Democracy », Fatton écrit ceci: « The Haitian state has historically represented the paradigmatic predatory state….The predatory state is …a despotic structure of power that preys on its citizens without giving much in return, its total lack of accountability suppresses even the murmurs of democracy. »(pg. 27).  (Historiquement, l’État haïtien a représenté le paradigme de l’état prédateur…L’État prédateur est une structure despotique de pouvoir qui s’attaque continuellement à ses citoyens sans leur donner beaucoup en retour, son manque total de responsabilité supprime même les murmures de démocratie.) [ma traduction].

Ainsi que Fatton l’explique dans sa préface, Haiti : Trapped in the Outer Periphery constitue à la fois une suite et un point de départ par rapport aux deux précédents ouvrages, Haiti’s Predatory Republic et The Roots of Haitian Despotism. En effet, dans ce nouveau livre, Robert Fatton montre non seulement l’irrésistible présence des forces sociales internes et des processus politiques traditionnels qui ont contribué à placer Haïti dans la fâcheuse situation où elle se trouve, mais il affirme qu’on ne peut pas comprendre la situation haïtienne sans étudier « the profound impact of the world capitalist system on the country’s internal affairs. » (pg.vii). (le profond impact du système capitaliste mondial sur les affaires internes du pays) [ma traduction]. La thèse principale du professeur Fatton est que « the persistent imperial interferences and interventions of the past three decades have exacerbated the conditions of acute poverty, social polarization, and misgovernance that have traditionally characterized the island.” (les interférences impériales persistantes et les interventions des trois décennies passées ont exacerbé les conditions de pauvreté aigue, de polarisation sociale, et de mal gouvernance qui ont traditionnellement caractérisé l’ile) [ma traduction].

Haiti : Trapped In The Outer Periphery est une analyse perspicace de la structure politique et économique de la société haïtienne et en ce sens, il continue admirablement les descriptions et les analyses des deux précédents ouvrages.  Bien que je partage la thèse de Fatton sur le profond impact du système capitaliste mondial sur les affaires internes du pays, je crains cependant que le brillant politologue  ne décrive et n’explique pas assez ce qui fait que Haiti est coincée tout au bas de la périphérie extérieure (the outer periphery) du processus de production du système capitaliste  mondial. Mais, il ne fait pas de doute que le fin politologue qu’est Robert Fatton trouvera la réponse à cette question dans sa prochaine recherche.

  1. An Untamed State

By Roxane Gay

Black Cat, New York, 2014

Roxane Gay est la plus récente écrivaine émergée de la nouvelle vague des grandes créatrices littéraires d’origine haïtienne qui ont explosé dans l’émigration au cours des quinze dernières années. Avant elle, l’expérience haïtienne se racontait par la voix de romancières comme Edwidge Danticat, Myriam J.A. Chancy, Michèle Voltaire Marcelin, Jan J. Dominique, Elsie Augustave. An Untamed State est le premier roman de cette écrivaine extraordinairement talentueuse qui confirme la place de la littérature d’Haïti dans les Amériques. Il a occupé les premières places dans la liste des best-sellers du New York Times pendant au moins trois semaines et la critique américaine a porté son roman aux nues.

Ce roman raconte l’histoire du kidnapping d’une « dyaspora », Mireille Duval Jameson revenue en Haïti pour rendre visite à sa mère. Son père, Sébastien Duval, a fait fortune dans la construction d’immeubles pour riches, elle file le parfait amour avec son jeune mari, Michael et un adorable fils, Christophe. Malgré sa fortune, Sébastien Duval refuse de payer la rançon d’un million de dollars réclamée par le chef du gang qui se fait appeler « le Commandeur ». Commence alors l’interminable calvaire de Mireille déterminée à résister face au commandeur et à son gang. Le roman est porté par un suspense parfois insoutenable et le lecteur souffre avec les vilenies et humiliations de toutes sortes subies par Mireille Duval Jameson.

Au-delà du fait-divers, ce kidnapping qui constitue le sujet du roman représente une réflexion publique de Roxane Gay sur l’évolution politique d’Haïti et sa mauvaise gouvernance, en même temps, c’est une critique puissante des maux de la société haïtienne, les inégalités et les exclusions sociales, la misère accablante, et l’impossibilité apparente de s’en sortir. Roxane Gay démontre une fois de plus qu’on peut parler d’Haïti dans une langue autre que le français et le kreyòl et que l’identité haïtienne se trouve de plus en plus être une identité plurielle.

Amis lecteurs, vous ne pouvez pas rater ce roman. Si vous l’avez déjà lu, offrez-le à vos amis ou à vos proches en cette période de fêtes de fin d’année.  Ils vous remercieront, je vous l’assure.

  1. Haïti : Que Faire ?

Une allégorie pour notre temps. Essai-fiction.

Par André Vilaire Chéry

Ethnos, 2013

La question que pose André Vilaire Chéry (AVC) dans le titre de son ouvrage est une question historiquement célèbre, bien que ce soit pour d’autres raisons. Associée cependant à Haïti, elle acquiert une actualité de premier ordre pour nous Haïtiens, actualité qui tient à la fois du tragique et du comique. Quelque part dans l’introduction de son ouvrage, AVC présente Haïti comme une société « abonnée aux surplaces et aux scénarios d’échec. » (pg. 12). C’est une cruelle vérité que n’importe quel Haïtien peut constater, la mort dans l’âme.

AVC qualifie son livre d’« essai-fiction », c’est-à-dire d’un texte où « la fiction s’allie à l’essai pour composer une œuvre difficilement classable, originale, forte ». Le texte « La tempête » (pgs. 21-25) illustre admirablement cette définition. Sa lecture est d’une délectation sans pareille. Tout comme d’ailleurs la suite de ce texte qui est une réflexion superbe sur la « condition haïtienne », c’est-à-dire l’impossibilité dans laquelle est plongée cette société pour trouver sa voie depuis son émergence en tant que nation indépendante en 1804. Pour faire mieux comprendre la tragédie haïtienne, AVC adopte tantôt les effets de l’allégorie et ses procédés bien connus de l’image et de la personnification d’une abstraction, tantôt il argumente avec les armes habituelles de l’essai, c’est-à-dire la raison, le jugement, la discussion.

Dans la partie allégorique du texte, AVC met en scène des affrontements inoubliables, comme celui qui oppose Repiblik-de-Pòtoprens à Peyi-Andeyò, le premier étant la personnification des privilégiés de tous ordres, tandis que le second représente l’armée innombrable des démunis et des rejetés de la société haïtienne. Les revendications de l’un comme de l’autre renvoient aux problèmes économiques, culturels, politiques et environnementaux qui minent la société haïtienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours. Rédigé en langue kreyòl, cet affrontement se déroule avec une puissance inégalée.

Le dialogue entre l’Esprit de la mer et Le Narrateur est tout aussi poignant, tout aussi explicatif des origines des malheurs de la société haïtienne : la division, la méfiance, l’absence de solidarité, l’individualisme érigé en règle de vie…

AVC a réussi avec cet ouvrage un véritable tour de force : maintenir la curiosité du lecteur du début à la fin du livre en mélangeant deux genres différents : l’essai argumentatif et le conte littéraire, à caractère allégorique. Apparemment, c’est une première dans la littérature haïtienne.

 

  1. Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol

Par Renauld Govain.

L’Harmattan, Paris, 2014.

Il est bien connu que le français est la langue lexificatrice du créole haïtien, c’est-à-dire que c’est cette langue (le français) qui a servi à former l’essentiel du lexique créole. L’une des toutes premières linguistes haïtiennes, Suzanne Sylvain, a même défendu dans les années 1930 un célèbre travail universitaire où elle a affirmé que le créole haïtien était une « langue éwé à vocabulaire français ». On a même dit à propos des créoles à base française que potentiellement, tout mot français peut devenir un mot créole. Bien sûr, il y a beaucoup d’exagération dans cette affirmation mais elle témoigne tout de même de l’imbrication de ces deux langues dans les sociétés antillaises et haïtienne.

Que se passe-t-il quand le français cesse de devenir la langue lexificatrice d’une langue créole, en particulier le créole haïtien ? Historiquement, cela s’est déjà réalisé quand l’ile de Trinité est passée d’une colonisation française à une colonisation britannique au cours du dix-septième siècle. Privée de rapports avec la Grande-Bretagne, la langue française a fini par s’éteindre peu à peu dans cette ile. La Dominique et Sainte-Lucie sont deux autres iles caribéennes qui ont connu ou connaitront le même sort.

Le sujet du récent livre du linguiste haïtien Renauld Govain n’est pas la disparition du lexique français dans la formation ou la vie du lexique créole. Govain traite plutôt des emprunts que le créole haïtien fait à l’anglais et à l’espagnol. Il montre que les emprunts faits à l’anglais sont plus importants que ceux faits à l’espagnol malgré la proximité géographique de la République dominicaine, pays hispanophone qui « partage une frontière longue de 360 km » avec Haïti. Il explique  que « cette domination de l’anglais est due notamment à l’influence des mass media américains et à l’usage d’outils technologiques et de télécommunications qu’Haïti importe des USA et dont le métalangage de manipulation est en anglais. »

Le travail de terrain réalisé par Gauvin pour ce livre est immense surtout quand on considère les conditions difficiles de la recherche en Haïti. Grâce à ce travail de terrain, le linguiste montre que les emprunts du créole haïtien à l’anglais, environ 1400 entrées, dépassent de près de 5 fois les emprunts du créole haïtien à l’espagnol. En revanche, le cadre théorique de la question des emprunts en linguistique générale manque quelque peu de rigueur. Cela aurait servi à délimiter et fixer les mécanismes de la formation de nouvelles unités lexicales provenant de l’anglais.

  1. Le Mississipi Blues, roman

Par Josaphat Robert Large

Éditions Ruptures, 2014

Ce roman est le troisième tome de la fameuse trilogie « Les Empreintes de la vie » de Josaphat Robert Large. On y trouve quelques personnages des deux premiers tomes, en particulier le narrateur et Jean-Éric Cadet II, riche pharmacien de la place et descendant du fameux général Tonbobo Cadet, héros de l’Indépendance haïtienne. En fait, hormis ce détail qui le rattache à l’histoire des deux tomes précédents, le texte évolue pratiquement dans un autre univers. Le narrateur est un étudiant désargenté fou de littérature, qui prépare une thèse en Sorbonne,  revient en Haïti pour assister aux funérailles d’un oncle qui fait de lui son unique héritier. Il rêve déjà de la belle vie qu’il pourra mener à Paris quand le tremblement de terre éclate.

Le livre est rempli d’ironie, particulièrement dans la description du tremblement de terre. Le narrateur prend plaisir à raconter les moyens de sauvetage utilisés par les rares survivants de la catastrophe : « …Ceux qui ne savaient pas sauter youp là, s’envoler comme moi d’une fenêtre à une autre…Devenir expert en bond de balcon en balcon, pour se retrouver dans les rangs des survivants miraculés… »

Il se moque de lui-même qui se fait mousse sur un bateau américain afin de quitter Haïti réduite à sa plus simple expression. C’est dans le Sud des États-Unis qu’il rencontre le grand amour de sa vie, celle qui a toujours été sur son chemin depuis le début et avec laquelle il finira par s’unir.

 

  1. Idéologie, Histoire et Politique en Haïti, essai

Tome I : Le Colorisme

Par Mac-Ferl Morquette

L’Imprimeur S.A., Port-au-Prince, 2014

C’est un pari gigantesque qu’a tenté Mac-Ferl Morquette en écrivant ce livre intitulé « Idéologie, Histoire et Politique en Haïti ». Les quatre termes clés de ce titre recèlent des pièges difficiles à entrevoir même pour les théoriciens ou les praticiens les plus aguerris. Par exemple, le terme « idéologie » peut donner lieu à de multiples interprétations : que toutes les idées sont socialement déterminées, ou que les idéologies ne servent qu’à masquer les intérêts d’un groupe. Dans la tradition marxiste, l’idéologie est perçue comme une « distorsion » de la réalité ; l’ histoire, qui est d’abord récit, mais surtout qui se propose d’expliquer, de critiquer, a  trouvé un terrain fertile en Haïti  puisqu’elle a nourri des batailles idéologiques vives ; quant à la politique, on en a fait le cœur des valeurs en Haïti et elle semble compter plus que toute autre chose dans le pays.

Morquette identifie un courant idéologique qui a marqué la production historique haïtienne jusque vers la moitié du 20ème siècle sous l’angle de ce qu’il appelle le « colorisme » divisé en deux tendances : le mûlatrisme et le noirisme. Il en est résulté, nous dit-il, « un combat coloriste à mort ». La problématique de l’idéologie, selon Morquette, et telle qu’elle est développée dans ce livre, sera présentée à travers deux thématiques essentielles :

  • Le colorisme en Haïti : le mûlatrisme et le noirisme ; (tome 1 du livre)
  • Le populisme en Haïti comme idéologie : ses antécédents historiques et ses manifestations actuelles (tome 2 du livre).

Le colorisme en Haïti comme idéologie est divisé en deux parties. La première partie est sous-titrée « La Faction jaune et sa panoplie idéologique » ; La deuxième partie est sous-titrée : « La Réaction noiriste ou la couleur comme élément de justification de la prise du pouvoir politique. Dans la dernière partie du livre, Morquette étudie le colorisme à la croisée du Marxisme.

  1. An n al Lazil, powèm

Par Fred Edson Lafortune

Trilingual Press / Près Trileng

Cambridge, Massachusetts, 2014

Les poèmes de Fred Edson Lafortune qui sont réunis dans le recueil « An n al Lazil » semblent être construits avec une simplicité et une facilité  remarquables. Mais, c’est l’art du poète qui n’en est pas à son premier texte littéraire qui nous donne cette impression. Sa poésie vient du fond du cœur. Ce n’est pas une communication intellectuelle. Lafortune laisse écouler sa sensibilité et laisse jouer son imagination :

An n lazil cheri

Lazil se peyi manman m

Se la timoun yo twoke rèv yo

Ak douvanjou

Pou yo ka pran lalin nan pyèj

La langue créole de Lafortune est un modèle de clarté et de précision. Ici, pas de grandiloquence, ni d’exagération stylistique. L’authenticité est la première qualité du poète. Fred Edson Lafortune est sans doute l’un des poètes d’expression créole les plus doués de sa génération.

Hugues Saint-Fort

New York, décembre 2014

Source: Le Forum Culturel Haïtien

Francophonie: retour sur la journée où Michaëlle Jean a été élue


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Le président François Hollande félicite Michaëlle Jean, après son élection à la tête de l’OIF.

Michaëlle Jean a été élue, ce dimanche 30 novembre à Dakar, secrétaire générale de l’OIF. Cette Canadienne d’origine haïtienne succède au Sénégalais Abdou Diouf. Elle est la première femme et la première non Africaine à occuper ce poste. Le sommet de cette année marque donc un tournant.

Avec notre envoyé spécial à Dakar,

Il est midi, ce dimanche 30 novembre, au Centre de conférence de Dakar. Le huis clos commence entre les chefs d’Etat et de gouvernement. Pour le poste de secrétaire général, quatre candidats restent en lice. Mais en réalité, tout se joue entre un homme et une femme : le Congolais Henri Lopes et la Canadienne Michaëlle Jean. Leurs deux mentors, le Congolais Denis Sassou-Nguesso et le Canadien Stephen Harper, sont si sûrs de gagner qu’ils sont prêts à en découdre dans un vote à bulletin secret, ce qui serait une première et qui pourrait provoquer une déchirure sans précédent dans l’histoire de la Francophonie.

Le Sénégalais Macky Sall et le Français François Hollande lancent alors un appel au dialogue et proposent une réunion de la dernière chance entre les deux duettistes. Aussitôt, Sassou-Nguesso et Harper s’isolent dans une pièce, en compagnie des présidents français et sénégalais.

Au bout d’une heure et quart, Denis Sassou-Nguesso ressort, le visage fermé, et quitte immédiatement le centre pour rentrer à Brazzaville. Stephen Harper, lui, a l’œil brillant. Sa compatriote Michaëlle Jean bondit dans les escaliers, radieuse, déboule dans la salle du huis clos où elle est accueillie par une salve d’applaudissements. Côté français, François Hollande ne montre pas trop ses sentiments, mais plusieurs membres de sa délégation affichent un large sourire qui en dit long sur le soutien de Paris à la Canadienne.

L’impact de la révolution burkinabè

Ce XVe sommet de la Francophonie est un tournant, parce que le nouveau secrétaire général de la Francophonie est une femme et une nord-américaine, mais surtout parce que pour la première fois, c’est le critère démocratique qui a prévalu dans ce choix.

Quand le Congolais Denis Sassou-Nguesso a présenté la candidature de son ambassadeur, Henri Lopes, il avait toute raison d’être confiant, car tout le monde disait que cette fois le poste devait revenir à l’Afrique centrale. Mais voilà, il y a un mois, le peuple burkinabè a chassé un président qui voulait changer sa Constitution pour briguer un troisième mandat. Or le président Sassou est vivement soupçonné de nourrir les mêmes intentions.

Henri Lopes est une personne remarquable, mais, après la révolution burkinabè, un homme du président Sassou ne peut plus prendre la tête de la Francophonie ; ce serait un signal désastreux, confie un membre de la délégation française à Dakar. Bref, la révolution burkinabè a impacté ce sommet de Dakar, et Paris, encore une fois, a imposé son choix. Ce qui risque de laisser des traces.

LA MÉTHODE HOLLANDE À L’ÉPREUVE DE LA FRANCOPHONIE

La Francophonie c’est l’Afrique, disait encore samedi soir Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française. Alors pour justifier la nomination d’une Canadienne, François Hollande a mis en avant les origines haïtiennes de Michaëlle Jean. « D’une certaine façon, elle est aussi africaine », a ainsi osé le chef de l’Etat français.

Pas sûr que la pilule soit moins amère pour certains pays. Mais dans l’entourage de François Hollande, on insiste sur un point : les Africains n’ont pas réussi à se mettre d’accord.

La France officiellement n’avait pas de candidat. Et la succession d’Abdou Diouf est à cet égard emblématique de la méthode Hollande en France comme à l’étranger : l’esprit de synthèse, la recherche du consensus assumée, revendiquée par son entourage quitte à prendre le risque, sans vouloir trancher, que le sommet de Dakar finisse en psychodrame. Elle paraît loin l’époque d’un président français capable de taper du poing sur la table pour imposer ses vues.

Autre temps, autres mœurs, c’est aussi ça la fin de la « Françafrique » proclamée par François Hollande il y a deux ans à Dakar. Pas de naïveté pour autant : la France ne perd pas de vue que la Francophonie est d’abord un outil d’influence dans le monde. La Francophonie, a lâché François Hollande ce weekend, c’est une « petite ONU ».

Source: RFI

Francophonie: la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean prend la tête de l’OIF


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La Canadienne Michaëlle Jean d’origine haïtienne a été désignée dimanche 30 novembre pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Elle occupera son poste de manière effective au 1er janvier 2015. Elle succède à Abdou Diouf, aux commandes de l’institution depuis 2012. La Canadienne Michaëlle Jean a été désignée par consensus à Dakar, pour quatre ans. Elle devient donc secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). L’ancienne gouverneur générale du Canada succède au Sénégalais Abdou Diouf, qui se retire après trois mandats à la tête de l’instance internationale qui compte 77 pays membres, dont 20 qui ont le statut d’observateur.