Category Archives: Creole poetry

Mes coups de coeur en 2014


Par Dr  Hugues Saint-Fort

Cela fait la sixième année consécutive que je publie en cette période  mes « coups de cœur », sorte de mini recensions ou résumés de recensions plus étoffées des meilleurs ouvrages ou documentaires qui m’ont séduit durant ces douze mois. Cette année, plus que toute autre peut-être, a vu la publication de remarquables textes de fiction et de non fiction de quelques nouveaux écrivains haïtiens. Décidément, que serait Haïti sans sa littérature ? Bonne lecture !

1 . Bain de lune, roman

 Par Yanick Lahens

Sabine Wespieser, Éditeur, Paris 2014

Incontestablement, le meilleur texte de fiction de Yanick Lahens qui a déjà publié deux magnifiques romans La couleur de l’aube (2008, prix RFO 2009) et Guillaume et Nathalie (Prix Caraïbes 2013) ainsi qu’un récit bouleversant Failles (2013), avant d’être récompensée en novembre dernier par le Femina pour Bain de lune.

Ce roman témoigne d’une connaissance poussée de la vie et du quotidien des paysans haïtiens, apporte la preuve que la romancière a effectué un nécessaire travail ethnologique de premier ordre et qu’elle est restée sensible aux conditions de vie, aux désirs, à la vision du monde du paysan et de la paysanne en Haïti. Il raconte l’histoire se déroulant sur quatre générations de deux familles haïtiennes résidant à Anse Bleue, un village d’Haïti. Ces deux familles sont les Lafleur et les Mésidor et elles s’entredéchirent pour des histoires de terre. A partir de ce cadre général récurrent dans le déroulement des existences paysannes haïtiennes, Yanick Lahens a dressé un immense tableau débordant de poésie qui décrit la vie dans une campagne haïtienne où les dieux se mêlent aux hommes, où le pouvoir des méchants tantôt prend le dessus, tantôt est rejeté, où les dictatures se succèdent sous une forme ou une autre.

Deux personnages principaux se détachent de l’histoire racontée dans cette fiction : d’une part, Olmène Dorival, petite marchande pauvre, fille d’un pêcheur et d’une paysanne, élevée dans la tradition paysanne de soumission aux hommes, d’autre part, Tertulien Mésidor, riche, puissant, fier, grand propriétaire terrien, symbole complet de l’omnipotence masculine dans la campagne haïtienne. Pourtant, Olmène Dorival réussit à faire échec à la tradition de soumission aux hommes et à gagner son indépendance tandis que Tertulien Mésidor disparait dans les poubelles de l’histoire.

La thématique des dieux / divinités du vodou occupe le devant de la scène dans la fiction racontée par Yanick Lahens. Ces dieux s’installent dans le quotidien permanent de tous les personnages. Presque pas une page du roman n’est tournée sans la présence de Legba, d’Agwe, de Zaka, d’èzili Dantò, de Ti-Jan Petwo, de Danbala, d’Ogou, des Envizib, des Mistè…

L’autre thématique centrale du roman que la romancière déroule avec un art littéraire expert est la dictature et ses effets meurtriers sur la population. Cette dictature entre en scène à partir de 1960, mais c’est à partir de 1963, ainsi que le raconte la narratrice, que la dictature dirigée par l’homme qui portait un chapeau noir et d’épaisses lunettes prit possession de la ville, des cœurs et des esprits : « En septembre 1963, l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses recouvrit la ville d’un grand voile noir. Port-au-Prince aveugle, affaissée, à genoux, ne vit même pas son malheur et baissa la nuque au milieu des hurlements de chiens fous. La mort saigna aux portes et le crépitement de la mitraille fit de grands yeux dans les murs. Jamais ces événements ne firent la une des journaux. »  (p.112).

Au-delà de la description de l’implacable et permanente condition des paysans vaincus par la souffrance, les abus, la faim, l’exclusion sociale, ce roman séduit par la beauté de la langue et du style, les mots simples mais puissants, la poésie parfois douce et fascinante, parfois violente et accrochante de chaque scène, chaque narration, chaque commentaire. Il n’est pas du tout étonnant qu’il ait obtenu le prix Femina. Bain de lune fera date dans l’histoire littéraire haïtienne.

Une version plus longue de cette recension a été publiée dans l’hebdomadaire haïtien Haïti En Marche, et sur le site Potomitan.

2 . Métaspora. Essai sur les patries intimes

Par Joël Des Rosiers

Triptyque, Montréal, 2014

Le concept de métaspora semble avoir été en gestation dans la réflexion littéraire de Des Rosiers depuis de longues années si l’on se réfère à la toute première occurrence de l’adjectif métasporiques dans son essai fondateur Théories caraïbes publié en 1996 :

« Chaque écrivain, aux prises avec sa propre mythologie, œuvre pour forger des espaces post-nationaux, au sein du mouvement général des peuples.

Espaces que j’appellerai métasporiques : méta-sporiques au lieu de dia-sporiques : à partir des contradictions liées à l’origine, au sexe et à la différence. »(Théories caraïbes, Montréal, Triptyque, 1996, p.162).

Joël Des Rosiers appelle métaspora la constitution d’une « mouvance instable » de peuples nombreux, sujets égarés au cœur d’espaces post-nationaux, « un ensablement qui grippe les centres où ils vivent et envers lesquels ils se réservent, en endossant de multiples allégeances et autant de dissensions. » (p.30).

Le concept de métaspora dépasse celui, réducteur et galvaudé, de diaspora qui a acquis en Haïti des connotations honteusement péjoratives et injurieuses. Pour le locuteur haïtien vivant sur la terre de départ, le rapport à la diaspora est teinté d’hostilité chronique, le terme acquiert lentement des sèmes d’individu du dehors, réduit à l’état de dépatrié, d’êtres mal dégrossis, égoïstes et oublieux de leur terre de naissance.

L’usage du terme métaspora sera-t-il en mesure d’effacer le caractère haineux du mot diaspora dans la conscience collective et individuelle haïtienne ?

Comment la métaspora peut-elle corriger ce regard suprêmement négatif porté sur elle par la diaspora ? Difficile problème que le changement de dénomination –de diaspora à métaspora— ne peut en aucune façon résoudre. En effet, on ne peut changer des mentalités qu’à partir de l’installation de nouvelles mentalités qui prennent naissance dans des réouvertures, de nouvelles créations, de nouveaux contacts entre les deux groupes.

Dans Métaspora, Joël Des Rosiers révèle une fois de plus l’étendue de son érudition qui traverse de multiples domaines du savoir, depuis les littératures européennes et caribéennes en passant par l’histoire, la philosophie, sans oublier le cinéma, la musique et les arts visuels contemporains. Ce qui est pertinent, c’est qu’il intègre ces différents pans du savoir dans sa création littéraire et sa réflexion générale. Métaspora en est l’exemple le plus achevé. C’est un livre dense, multidimensionnel, dont la lecture exige quelques efforts.

Une version plus longue et plus étoffée de cette recension paraitra bientôt sur d’autres canaux médiatiques.

  1. Haïti Noir 2. The Classics.

Edited by Edwidge Danticat

Akashic Books, New York, 2014

Si le premier Haïti Noir se conformait assez strictement aux paramètres du genre noir, Haïti Noir 2. The Classics se veut beaucoup plus éclectique, moins limité au crime et à la fiction « Noir ». Les auteurs choisis par Danticat ont été recrutés aussi bien parmi les grands classiques de la littérature haïtienne d’expression française (Jacques-Stephen Alexis, Jacques Roumain, Ida Faubert), que chez les grands contemporains (Lyonel Trouillot, Dany Laferrière, Georges Anglade, Paulette Poujol Oriol) qui révèlent la profondeur du paysage littéraire haïtien ou chez le petit groupe qui constitue l’inévitable relève de la littérature haïtienne de demain (Emmelie Prophète, Jan J. Dominique, Michèle Voltaire Marcelin, Roxane Gay.)

Précédé par une introduction de Danticat, Haïti Noir 2 The Classics est divisé en trois parties. Chaque partie comporte un titre et est introduite par un poème qui met en relief le ton et l’atmosphère psychologique des histoires qui sont regroupées sous cette partie. A travers le titre de la première partie Hunted / Haunted (pourchassé / obsédé) et en suivant le contenu du très beau poème Praisesong fort Port-au-Prince (éloges pour Port-au-Prince) écrit par Danielle Legros Georges, le lecteur découvre six courtes histoires. Elles nous font voyager soit au cœur de la haute et oppressante société bourgeoise de Port-au-Prince de la fin des années 1920, minée par l’hypocrisie, la corruption et le sous-racisme des classes dominantes mulâtres dans « Preface to the Life of a Bureaucrat » (Préface à la vie d’un bureaucrate) de Jacques Roumain, soit au milieu de la misère et de la violence d’un bidonville dans « Children of Heroes » (Les Enfants des Héros) de Lyonel Trouillot. Entre ces deux textes extrêmes dans leur peinture de la société haïtienne, Danticat a inséré quatre histoires de fiction « Noir » où dominent le mysticisme vodou et le surnaturel typique des récits populaires haïtiens.

La 2ème partie, intitulée « Seduced » (Séduit) est introduite par le bouleversant poème « Remember One Day » (Rappelez-vous un jour) écrit par Emmelie Prophète. « Rêve haïtien » est le titre de la première nouvelle qui ouvre cette deuxième partie et est écrite par Ben Fountain, l’un des deux auteurs américains dont les textes figurent dans cette anthologie. Bien qu’il contienne certaines références à la culture vodou, le texte de Ben Fountain ne fait intervenir ni le crime ni la peur du surnaturel vodou (même si l’action du récit se déroule dans l’ambiance mortifère de l’après-coup d’état de 1991-1994) dans cette superbe histoire psychologique à base de partie d’échecs, d’art pictural haïtien et d’allusions épidermiques.

La troisième partie intitulée « Losing My Way » (Perdre ma route) est introduite par le poignant poème « I just Lost My Way » (J’ai juste perdu ma route) d’Ezili Dantò. On y trouve cinq courtes histoires : « The Mission » de Marie-Hélène Laforest, « Dame Marie » de Marilène Phipps-Kettlewell, « Barbancourt Blues » de Nick Stone,« Surrender » de Myriam J. A. Chancy, et « Things I know About Fairy Tales » (Ce que je sais au sujet des contes de fée) par Roxane Gay. C’est la dernière nouvelle de cette troisième partie. Elle raconte l’histoire d’une « dyaspora » qui est kidnappée au cours d’un séjour en Haïti pour visiter sa mère. Le texte écrit à la première personne déborde de sarcasme et d’ironie dirigés vers tout le monde : les kidnappeurs, le mari de la narratrice, ses amis, jusqu’à la narratrice elle-même…Roxane Gay possède un talent littéraire énorme et représentera à coup sûr l’une des meilleures écrivaines de sa génération.

Une version plus détaillée de cette recension a paru sur Potomitan et dans divers forums haïtiens de discussion.

  1. Haiti. Trapped In The Outer Periphery

Par Robert Fatton Jr.

Lynne Rienner Publishers, Inc. 2014

Robert Fatton, professeur de Gouvernement et d’Affaires étrangères à l’université de Virginie est l’auteur de : « Haïti : Trapped In the Outer Periphery ». Il avait publié auparavant: « Predatory Rule: State And Civil Society in Africa »; « Haiti’s Predatory Republic: The Unending Transition to Democracy » (2002); « The Roots of Haitian Despotism » (2007), en plus de dizaines d’articles parus dans des revues arbitrées et spécialisées. Il représente, avec Robert Maguire, Alex Dupuy et Carole Charles les 4 universitaires spécialistes de  politique haïtienne auxquels les journalistes étrangers le plus souvent anglo-saxons font appel pour éclaircir un point brûlant de l’actualité politique haïtienne. S’appuyant sur les travaux de Douglas North (1981) et de Michel-Rolph Trouillot (1990) il a introduit le concept de « predatory state » (l’état prédateur) pour expliquer le fonctionnement de l’État haïtien dans ses rapports avec les masses haïtiennes et la société civile en général. Dans son livre « Haiti’s Predatory Republic :The Unending Transition to Democracy », Fatton écrit ceci: « The Haitian state has historically represented the paradigmatic predatory state….The predatory state is …a despotic structure of power that preys on its citizens without giving much in return, its total lack of accountability suppresses even the murmurs of democracy. »(pg. 27).  (Historiquement, l’État haïtien a représenté le paradigme de l’état prédateur…L’État prédateur est une structure despotique de pouvoir qui s’attaque continuellement à ses citoyens sans leur donner beaucoup en retour, son manque total de responsabilité supprime même les murmures de démocratie.) [ma traduction].

Ainsi que Fatton l’explique dans sa préface, Haiti : Trapped in the Outer Periphery constitue à la fois une suite et un point de départ par rapport aux deux précédents ouvrages, Haiti’s Predatory Republic et The Roots of Haitian Despotism. En effet, dans ce nouveau livre, Robert Fatton montre non seulement l’irrésistible présence des forces sociales internes et des processus politiques traditionnels qui ont contribué à placer Haïti dans la fâcheuse situation où elle se trouve, mais il affirme qu’on ne peut pas comprendre la situation haïtienne sans étudier « the profound impact of the world capitalist system on the country’s internal affairs. » (pg.vii). (le profond impact du système capitaliste mondial sur les affaires internes du pays) [ma traduction]. La thèse principale du professeur Fatton est que « the persistent imperial interferences and interventions of the past three decades have exacerbated the conditions of acute poverty, social polarization, and misgovernance that have traditionally characterized the island.” (les interférences impériales persistantes et les interventions des trois décennies passées ont exacerbé les conditions de pauvreté aigue, de polarisation sociale, et de mal gouvernance qui ont traditionnellement caractérisé l’ile) [ma traduction].

Haiti : Trapped In The Outer Periphery est une analyse perspicace de la structure politique et économique de la société haïtienne et en ce sens, il continue admirablement les descriptions et les analyses des deux précédents ouvrages.  Bien que je partage la thèse de Fatton sur le profond impact du système capitaliste mondial sur les affaires internes du pays, je crains cependant que le brillant politologue  ne décrive et n’explique pas assez ce qui fait que Haiti est coincée tout au bas de la périphérie extérieure (the outer periphery) du processus de production du système capitaliste  mondial. Mais, il ne fait pas de doute que le fin politologue qu’est Robert Fatton trouvera la réponse à cette question dans sa prochaine recherche.

  1. An Untamed State

By Roxane Gay

Black Cat, New York, 2014

Roxane Gay est la plus récente écrivaine émergée de la nouvelle vague des grandes créatrices littéraires d’origine haïtienne qui ont explosé dans l’émigration au cours des quinze dernières années. Avant elle, l’expérience haïtienne se racontait par la voix de romancières comme Edwidge Danticat, Myriam J.A. Chancy, Michèle Voltaire Marcelin, Jan J. Dominique, Elsie Augustave. An Untamed State est le premier roman de cette écrivaine extraordinairement talentueuse qui confirme la place de la littérature d’Haïti dans les Amériques. Il a occupé les premières places dans la liste des best-sellers du New York Times pendant au moins trois semaines et la critique américaine a porté son roman aux nues.

Ce roman raconte l’histoire du kidnapping d’une « dyaspora », Mireille Duval Jameson revenue en Haïti pour rendre visite à sa mère. Son père, Sébastien Duval, a fait fortune dans la construction d’immeubles pour riches, elle file le parfait amour avec son jeune mari, Michael et un adorable fils, Christophe. Malgré sa fortune, Sébastien Duval refuse de payer la rançon d’un million de dollars réclamée par le chef du gang qui se fait appeler « le Commandeur ». Commence alors l’interminable calvaire de Mireille déterminée à résister face au commandeur et à son gang. Le roman est porté par un suspense parfois insoutenable et le lecteur souffre avec les vilenies et humiliations de toutes sortes subies par Mireille Duval Jameson.

Au-delà du fait-divers, ce kidnapping qui constitue le sujet du roman représente une réflexion publique de Roxane Gay sur l’évolution politique d’Haïti et sa mauvaise gouvernance, en même temps, c’est une critique puissante des maux de la société haïtienne, les inégalités et les exclusions sociales, la misère accablante, et l’impossibilité apparente de s’en sortir. Roxane Gay démontre une fois de plus qu’on peut parler d’Haïti dans une langue autre que le français et le kreyòl et que l’identité haïtienne se trouve de plus en plus être une identité plurielle.

Amis lecteurs, vous ne pouvez pas rater ce roman. Si vous l’avez déjà lu, offrez-le à vos amis ou à vos proches en cette période de fêtes de fin d’année.  Ils vous remercieront, je vous l’assure.

  1. Haïti : Que Faire ?

Une allégorie pour notre temps. Essai-fiction.

Par André Vilaire Chéry

Ethnos, 2013

La question que pose André Vilaire Chéry (AVC) dans le titre de son ouvrage est une question historiquement célèbre, bien que ce soit pour d’autres raisons. Associée cependant à Haïti, elle acquiert une actualité de premier ordre pour nous Haïtiens, actualité qui tient à la fois du tragique et du comique. Quelque part dans l’introduction de son ouvrage, AVC présente Haïti comme une société « abonnée aux surplaces et aux scénarios d’échec. » (pg. 12). C’est une cruelle vérité que n’importe quel Haïtien peut constater, la mort dans l’âme.

AVC qualifie son livre d’« essai-fiction », c’est-à-dire d’un texte où « la fiction s’allie à l’essai pour composer une œuvre difficilement classable, originale, forte ». Le texte « La tempête » (pgs. 21-25) illustre admirablement cette définition. Sa lecture est d’une délectation sans pareille. Tout comme d’ailleurs la suite de ce texte qui est une réflexion superbe sur la « condition haïtienne », c’est-à-dire l’impossibilité dans laquelle est plongée cette société pour trouver sa voie depuis son émergence en tant que nation indépendante en 1804. Pour faire mieux comprendre la tragédie haïtienne, AVC adopte tantôt les effets de l’allégorie et ses procédés bien connus de l’image et de la personnification d’une abstraction, tantôt il argumente avec les armes habituelles de l’essai, c’est-à-dire la raison, le jugement, la discussion.

Dans la partie allégorique du texte, AVC met en scène des affrontements inoubliables, comme celui qui oppose Repiblik-de-Pòtoprens à Peyi-Andeyò, le premier étant la personnification des privilégiés de tous ordres, tandis que le second représente l’armée innombrable des démunis et des rejetés de la société haïtienne. Les revendications de l’un comme de l’autre renvoient aux problèmes économiques, culturels, politiques et environnementaux qui minent la société haïtienne depuis sa naissance jusqu’à nos jours. Rédigé en langue kreyòl, cet affrontement se déroule avec une puissance inégalée.

Le dialogue entre l’Esprit de la mer et Le Narrateur est tout aussi poignant, tout aussi explicatif des origines des malheurs de la société haïtienne : la division, la méfiance, l’absence de solidarité, l’individualisme érigé en règle de vie…

AVC a réussi avec cet ouvrage un véritable tour de force : maintenir la curiosité du lecteur du début à la fin du livre en mélangeant deux genres différents : l’essai argumentatif et le conte littéraire, à caractère allégorique. Apparemment, c’est une première dans la littérature haïtienne.

 

  1. Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol

Par Renauld Govain.

L’Harmattan, Paris, 2014.

Il est bien connu que le français est la langue lexificatrice du créole haïtien, c’est-à-dire que c’est cette langue (le français) qui a servi à former l’essentiel du lexique créole. L’une des toutes premières linguistes haïtiennes, Suzanne Sylvain, a même défendu dans les années 1930 un célèbre travail universitaire où elle a affirmé que le créole haïtien était une « langue éwé à vocabulaire français ». On a même dit à propos des créoles à base française que potentiellement, tout mot français peut devenir un mot créole. Bien sûr, il y a beaucoup d’exagération dans cette affirmation mais elle témoigne tout de même de l’imbrication de ces deux langues dans les sociétés antillaises et haïtienne.

Que se passe-t-il quand le français cesse de devenir la langue lexificatrice d’une langue créole, en particulier le créole haïtien ? Historiquement, cela s’est déjà réalisé quand l’ile de Trinité est passée d’une colonisation française à une colonisation britannique au cours du dix-septième siècle. Privée de rapports avec la Grande-Bretagne, la langue française a fini par s’éteindre peu à peu dans cette ile. La Dominique et Sainte-Lucie sont deux autres iles caribéennes qui ont connu ou connaitront le même sort.

Le sujet du récent livre du linguiste haïtien Renauld Govain n’est pas la disparition du lexique français dans la formation ou la vie du lexique créole. Govain traite plutôt des emprunts que le créole haïtien fait à l’anglais et à l’espagnol. Il montre que les emprunts faits à l’anglais sont plus importants que ceux faits à l’espagnol malgré la proximité géographique de la République dominicaine, pays hispanophone qui « partage une frontière longue de 360 km » avec Haïti. Il explique  que « cette domination de l’anglais est due notamment à l’influence des mass media américains et à l’usage d’outils technologiques et de télécommunications qu’Haïti importe des USA et dont le métalangage de manipulation est en anglais. »

Le travail de terrain réalisé par Gauvin pour ce livre est immense surtout quand on considère les conditions difficiles de la recherche en Haïti. Grâce à ce travail de terrain, le linguiste montre que les emprunts du créole haïtien à l’anglais, environ 1400 entrées, dépassent de près de 5 fois les emprunts du créole haïtien à l’espagnol. En revanche, le cadre théorique de la question des emprunts en linguistique générale manque quelque peu de rigueur. Cela aurait servi à délimiter et fixer les mécanismes de la formation de nouvelles unités lexicales provenant de l’anglais.

  1. Le Mississipi Blues, roman

Par Josaphat Robert Large

Éditions Ruptures, 2014

Ce roman est le troisième tome de la fameuse trilogie « Les Empreintes de la vie » de Josaphat Robert Large. On y trouve quelques personnages des deux premiers tomes, en particulier le narrateur et Jean-Éric Cadet II, riche pharmacien de la place et descendant du fameux général Tonbobo Cadet, héros de l’Indépendance haïtienne. En fait, hormis ce détail qui le rattache à l’histoire des deux tomes précédents, le texte évolue pratiquement dans un autre univers. Le narrateur est un étudiant désargenté fou de littérature, qui prépare une thèse en Sorbonne,  revient en Haïti pour assister aux funérailles d’un oncle qui fait de lui son unique héritier. Il rêve déjà de la belle vie qu’il pourra mener à Paris quand le tremblement de terre éclate.

Le livre est rempli d’ironie, particulièrement dans la description du tremblement de terre. Le narrateur prend plaisir à raconter les moyens de sauvetage utilisés par les rares survivants de la catastrophe : « …Ceux qui ne savaient pas sauter youp là, s’envoler comme moi d’une fenêtre à une autre…Devenir expert en bond de balcon en balcon, pour se retrouver dans les rangs des survivants miraculés… »

Il se moque de lui-même qui se fait mousse sur un bateau américain afin de quitter Haïti réduite à sa plus simple expression. C’est dans le Sud des États-Unis qu’il rencontre le grand amour de sa vie, celle qui a toujours été sur son chemin depuis le début et avec laquelle il finira par s’unir.

 

  1. Idéologie, Histoire et Politique en Haïti, essai

Tome I : Le Colorisme

Par Mac-Ferl Morquette

L’Imprimeur S.A., Port-au-Prince, 2014

C’est un pari gigantesque qu’a tenté Mac-Ferl Morquette en écrivant ce livre intitulé « Idéologie, Histoire et Politique en Haïti ». Les quatre termes clés de ce titre recèlent des pièges difficiles à entrevoir même pour les théoriciens ou les praticiens les plus aguerris. Par exemple, le terme « idéologie » peut donner lieu à de multiples interprétations : que toutes les idées sont socialement déterminées, ou que les idéologies ne servent qu’à masquer les intérêts d’un groupe. Dans la tradition marxiste, l’idéologie est perçue comme une « distorsion » de la réalité ; l’ histoire, qui est d’abord récit, mais surtout qui se propose d’expliquer, de critiquer, a  trouvé un terrain fertile en Haïti  puisqu’elle a nourri des batailles idéologiques vives ; quant à la politique, on en a fait le cœur des valeurs en Haïti et elle semble compter plus que toute autre chose dans le pays.

Morquette identifie un courant idéologique qui a marqué la production historique haïtienne jusque vers la moitié du 20ème siècle sous l’angle de ce qu’il appelle le « colorisme » divisé en deux tendances : le mûlatrisme et le noirisme. Il en est résulté, nous dit-il, « un combat coloriste à mort ». La problématique de l’idéologie, selon Morquette, et telle qu’elle est développée dans ce livre, sera présentée à travers deux thématiques essentielles :

  • Le colorisme en Haïti : le mûlatrisme et le noirisme ; (tome 1 du livre)
  • Le populisme en Haïti comme idéologie : ses antécédents historiques et ses manifestations actuelles (tome 2 du livre).

Le colorisme en Haïti comme idéologie est divisé en deux parties. La première partie est sous-titrée « La Faction jaune et sa panoplie idéologique » ; La deuxième partie est sous-titrée : « La Réaction noiriste ou la couleur comme élément de justification de la prise du pouvoir politique. Dans la dernière partie du livre, Morquette étudie le colorisme à la croisée du Marxisme.

  1. An n al Lazil, powèm

Par Fred Edson Lafortune

Trilingual Press / Près Trileng

Cambridge, Massachusetts, 2014

Les poèmes de Fred Edson Lafortune qui sont réunis dans le recueil « An n al Lazil » semblent être construits avec une simplicité et une facilité  remarquables. Mais, c’est l’art du poète qui n’en est pas à son premier texte littéraire qui nous donne cette impression. Sa poésie vient du fond du cœur. Ce n’est pas une communication intellectuelle. Lafortune laisse écouler sa sensibilité et laisse jouer son imagination :

An n lazil cheri

Lazil se peyi manman m

Se la timoun yo twoke rèv yo

Ak douvanjou

Pou yo ka pran lalin nan pyèj

La langue créole de Lafortune est un modèle de clarté et de précision. Ici, pas de grandiloquence, ni d’exagération stylistique. L’authenticité est la première qualité du poète. Fred Edson Lafortune est sans doute l’un des poètes d’expression créole les plus doués de sa génération.

Hugues Saint-Fort

New York, décembre 2014

Source: Le Forum Culturel Haïtien

Nan do lavi se fas lanmò


                                       ( OMAJ POU JEAN MARY GABRIEL )

Nan do lavi se fas lanmò
Douvan de pye n lanmò kwaze
Lavi n mezire nan poban
Lanmò boubou n nan gwo kalbas

Lavi n se lanm lanmè
Lavi n se van karèm
Lavi n klopiklopan
Lavi n miwomiba
Lavi n chanje koulè
Lavi n chanje kadè

Nan dlo lavi rivyè lanmò
Lanmò kraze douvan de pye n 
Ale w fè dlo je inonde Bisantnè
Ale w koke nan matris ri Chavàn

Nou vini pou n ale
Nou se van fòk n ale
W ale kite lavi dèyè
Ap kriye san bò granchimen
Ou pran sèso nan wòb lanmò
Tout flè ap chache wout fennen
 
Lanmò nan do l trangle lavi
Anba plan pye n lanmò kwaze
Babay lavi bonjou Bawon
De pye devan yo ba w ochan
 
Pye kout pran devan
Ou Pike pi devan
Ou chanje koulè plezi
Koulè pwezi
Ou pran chaplè w
w ale anpè
 
Nan do lavi se fas lanmò
Douvan de pye n lanmò kwaze
Si sa posib
Na wè ankò

HENRI KERVEN LAFORTUNE

DYASPORA DYASPORA, ALA REMÒ


Pa Jean Dany Joachim

Alaverite, reyalite sa a pa yon mistè paske gen tout kalite sitiyasyon ki fè kèk fwa Ayisyen fanm kou gason, jenn kou granmoun oblije pati kite peyi a pou al kontinye lavi sou yon tè etranje. Se yon verite difisil pou anpil pèp sou latè ki pa gen pou wè sèlman avèk Ayisyen. Depi kòmansman limanite moun ap bouje, moun ap fè alevini, travèse fwontyè nan kat kwen kadino planèt la. Moun pati, moun tounen ! Moun pati, moun rete ! Sa toujou gen rapò avèk sikonstans chak ka endividyèlman: ki rezon ki te motive yo pati, ki rezon ki fè yo deside tounen lakay, osnon ki rezon ki fè yo oblije rete nan peyi kote yo tonbe a.

Lè nou foure je nou yon ti kras nan paj listwa n antan ke pèp, nou ka konstate ke pati kite peyi a, se pa yon fenomèn ki te kòmanse konsa konsa. Kiltirèlman, nou se yon ras moun ki an jeneral gen anpil atachman ak kote nou fèt. Mo tankou bitasyon, natif natal, moun vini ak kòd lonbrit gen yon sans espesyal nan lang kreyòl nou an, kote yo montre enpòtans nou bay nan rapò nou avèk kominote kote nou soti. Nan menm lide sa a, gen lòt aspè nan langaj nou ki eksplike sa ankò pi byen, pa ekzanp nosyon tankou: moun nan nò, moun nan sid, moun platosantral, moun kafou, moun senkyèm avni, moun Dedin, moun ansafolè, Jakmèl, eksetera… Kididonk, se yon bagay ki klè ke Ayisyen an jeneral pa pran kote li soti alalejè. Moun pa leve konsa konsa kite fondasyon yo pou al replante tèt yo yon lòt kote antan ke moun vini. De jenerasyon an jenerasyon tout moun toujou evolye nan kanton yo, sof pou sitiyasyon vin Pòtoprens lan ki se yon lòt pwoblèm, konplètman diferan. Pwovèb la di: Kote yo pa konnen w, yo rele w moun sa a.

Se nan zòn kòmansman ane mil nèf san yo, pi espesyalman pandan peryòd lè gouvènman Ameriken te vin okipe peyi a pou lapremyè fwa a (1914 -1945), peyizan ayisyen te kòmanse pati al chache travay nan chan kann peyi Kiba. Yon ti kras pita, peyizan te pran pati pa pakèt pou plantasyon kann nan peyi Sendomeng. Apre sa, vè zòn lane mil nèf san senkant ak swasant yo, se pa t peyizan ase ki t ap pati. Nou jwenn yon gwo pousantaj nan klas entèlektyèl peyi a ki sou presyon ensekirite politik te kòmanse kraze rak pou peyi: Etazini, Kanada, Lafrans, kèk lòt peyi ewopeyen ak afriken. Apre sa, enpe pi devan nou te jwenn kèk peyizan ak yon lòt kouch moun nan sosyete a ki pa t gen twòp fòmasyon lekòl, ki pa t gen twòp mwayen lajan, ki te kòmanse pran wout ti zantiy yo (Matinik, Baamas, Kiraso, Gwadloup), eksetera. Finalman, nan ane katreven yo, se te yon debandad total kote fenomèn kanntè a te fè kenken nan tout kwen peyi a. Tout kalite moun t ap pati, moun tout sektè, moun tout nivo.

Nanpwen vrèman nesesite pou fè twòp deba sou kesyon an, paske li klè kou dlo sous ke kòz fondalnatal tout mouvman pati sa yo gen pou wè ak yon bagay byen fondamantal: Se echèk lavi ekonomik peyi a, ak echèk politik tout gouvènman depi dikdantan yo jouk ka jounen jodi a ki kreye plas pou sitiyasyon sa a ka rive. Peyizan blije pati al dekouvri lavi di nan plantasyon kann ak travay domestik nan lòt peyi, se paske yo fin pèdi tout espwa apre echèk sou echèk nan travay latè ki pa rapòte yo anyen. Enpitou, yo pa janm rive jwenn okenn ankadreman nan men pyès enstitisyon leta nan peyi a pou soutni yo. Nan menm kontèks sa a, nou konstate tou ke majorite sèvo ak entèlektyèl peyi a, moun byen prepare ki ta pou ap travay pou avansman lakay yo, yo twouve yo ekzile oubyen kouri janbe fil anba chal pou chape poul yo anba fewosite diktati papa Dòk la. Se nan peryòd sa a patikilyèman pifò pwofesè, doktè, avoka, enjenyè, jounalis, ekriven peyi a te fè wout pou peyi etranje. Yon pèt total kapital. Yon katastwòf san reparasyon pou peyi a. Yon kokenn chay dilèm tou pou sitwayen sa yo, paske se kèk ladan yo ki konn gen chans pou travay sou pwofesyon yo nan peyi kote yo tonbe a, men rès majorite a, trè souven oblije pran nenpòt kalite ti dyòb pou siviv nan yon premye tan.

Pa gen pesòn ki pa ta renmen ret paweze lakay li. Si sa te bon, pèp ayisyen an premye pa t ap kite peyi l sof pou vakans oubyen lòt eksperyans menm jan ak lòt pèp lòt nasyon kote sa bon yo. Yon peyi d Ayiti ki pwòp, yon peyi d Ayiti ki pa kouvri anba vwal lamizè, yon peyi d Ayiti ki san ensekirite politik sou kat visit li, yon peyi d Ayiti k ap sipòte edikasyon pou tout pitit li yo, se t ap yon ti moso paradi sou latè. Menm jan moun ki gen mwayen yo, kèlkeswa mabyal sitiyasyon an mabyal nan peyi a, yo toujou òganize yo pou yo pa fè tennfas la, anpil lòt sitwayen ki ta gen menm opòtinite yo pa t ap janm chwazi pou pati. Fòk yon moun pa ta byen nan tèt li sèl pou l ta kite peyi l ki byen trankil, byen pezib, enpi pou l al triminen nan lavi rèd lòt kote.

Nan ka pa m, se aksidan lavi ki te lage m nan dyaspora a. Mwen pa t pran desizyon yon bon jou pou m te bay peyi m do. Mwen te chita sou tèt lavi m nan epòk sa a kote sitisyasyon mwen pa t janm imajine ta pral kilbite m nan peyi etranje. Mwen te jenn gason. Mwen te aktè sou sèn teyat. Mwen te gen travay. Mwen te ka sikile toupatou nan peyi m. Mwen te gwo jwè echèk. Mwen te etidyan nan inivèsite. Mwen te konekte ak yon katafal zanmi ki te kwè tout bon vre nan avni peyi a. Pa t gen pati pou okenn nan nou, pou al nan pyès peyi etranje, sitou ke gen lòt moun nan sezon sa a se tounen yo t ap retounen.

Menm jan mo sa a koule fasil fasil nan bouch lèzòt ak bouch medizan malpalan yo, koze dyaspora a pa yon ti zafè konsa konsa. Se youn nan gwo sitiyasyon difisil anpil pèp sou latè, pa sèlman Ayisyen oblije konfwonte. Anpil fwa, sikonstans dilèm sa a konn abouti sou gwo trajedi. Se pa yon sitiyasyon ki senp lè lavi yon moun chanje brid sou kou, pou l kouri kite yon peyi pou l al kontinye viv nan yon lòt san okennn preparasyon. Gen anpil konsekans emosyonèl ak sikolojik trè grav pou moun ki pa rive adapte yo byen nan sitiyasyon sa a. Sa konn lakòz gen de fwa yon seri de pwoblèm ki trouble yon fanmi pandan plizyè jenerasyon. Mwen panse li lè, enpitou li enpòtan pou gen yon travay fòmasyon ki fèt bò lakay pa nou, pou pwopoze yon lòt apwòch sou ki jan nou kontinye gade moun sa yo nou rele dyaspora a. Enfòmasyon pa janm touye pèson, lèfini se devwa tout nasyon ki vle respekte tèt li pou envesti nan edikasyon pèp lakay li sou kèlkeswa sijè a.

Se anpil ekzijans adaptasyon sosyal ak ekzijans familyal nan peyi yon moun ap evolye a ki fè anpil fwa li nesesè pou li vin sitwayen nan peyi sa a. Sa pa vle di jamè moun sa a te chwazi pou li pa t Ayisyen ankò, alòske bò lakay, nan kontinyasyon echèk politik yon gouvènman apre yon lòt gouvènman an, yo fè sitiyasyon sa a vin tounen yon kwa malediksyon pou sitwayen sa a ki sèl peche li fè se mete l opa avèk ekzijans lavi nan peyi kote l ap viv la. Pwòp peyi kote li te fèt la mete l o renka. Yo fè l tounen yon senkyèm kolòn. Yo pa rekonèt li kòm sitwayen ankò; se sa lalwa peyi a di. Paspò ayisyen an pa valab pou moun sa a ankò paske menm lalwa sa a, nan peyi kote kòd lonbrit li antere a dekrete li pa sitwayen. Enpitou, lis la kontinye pi plis ankò lè nou kontinye fouye zo nan kalalou, nou jwenn tout lòt kalite entèdiksyon ankò ki izole moun sa yo pi plis pi plis sou tout laliy. Ala remò !

Ki vrè wòl lwa sa yo jwe tout bon vre pou peyi a ? Alaverite, si nou byen gade, atitid sa a, se yon ekzaksyon regadan, san moral, ki pa fonde sou okenn prensip objektif. Li regretan anpil paske Ayisyen natif natal sa yo ki twouve yo ap viv nan peyi etranje yo, kèlkeswa grad ekstrawòdinè yo ta rive genyen nan sosyete kote yo ye a, menm si yo ta vle, yo pa fouti efase orijin ayisyen yo an. Yo pa gen chwa sa a. Lèfini tou, nou pa ka kontinye ap bay tèt nou manti paske lè youn ladan yo manke fè yon fo pa se tout peyi d Ayiti ki bite ansanm avèk yo nan je lasosyete mondyal la. Pa ekzanp, lè bato gadkòt Ameriken remoke sou lanmè yon batiman kanntè Ayisyen pou al lage tout konpatriyòt yo nan prizon anvan yo pimpe yo Pòtoprens, se tout dyaspora ayisyen an nan peyi a ki sèvi kòm referans pou sitiyasyon sa a, san okenn distenksyon. Kèlkeswa yon moun t ap viv nan peyi a depi ven, trant, osnon karantan, se kòmkwa ou te youn nan moun ki te nan bato kanntè sa a devan je lemonn ak tout sosyete isit la. Yo anpile yo tout nan menm bwat sadin nan. Alòske se menm jan an tou, lè youn nan Ayisyen dyaspora sa yo reyalize yon bagay enpòtan, lè youn ladan yo vin selèb tankou madam Michaelle Jean ki te gouvènè jeneral peyi Kanada, tankou ekriven Dany Laferrière ke yo nommen manm Akademi Fransèz, tankou ekriven Edwidge Danticat lè li resevwa plizyè gwo kokennchen onè pou literati nan peyi Etazini, tankou yon pakèt lòt sitwayen ankò k ap briye nan anpil lòt kalite fonksyon enpòtan toupatou nan lemonn…, lè konsa, se tout peyi d Ayiti ki bonbe lestomak li pou pran ochan pou yon pitit vant li ki reyalize yon gwo eksplwa lòtbò dlo. Jiskaprezan tout sa montre ke lalwa ki retire dwa sitwayen nan men prèske 2 milyon pitit vant peyi a ka p viv nan peyi etranje yo se yon trezaksyon ipokrit ki san lojik.

Enpitou, si nou ta vle konsidere kesyon an sou yon plan ekonomik sèlman, pou jan relasyon ant Ayisiyen lòtbò dlo yo ak Ayisyen lakay yo enpòtan pou peyi d Ayiti nou wè klè ke li pa fè sans pou gwoup moun sa yo pa kontinye gen dwa ak tout diyite sitwayen yo. Menm lè youn nan Ayisyen aletranje sa yo sipòte yon manm nan fanmi l ki an Ayiti ak yon ti tyotyo chak mwa osnon kèk fwa nan yon ane, se tout peyi a ki benefisye sou plan sa a paske sa jwe yon wòl enpòtan nan kesyon ekonomi nasyonal la. Dyaspora a se yon mendèv Ayisyen ki toupatou nan lemonn k ap ponpe san rete yon kontribisyon pozitif nan lavi ekonomik peyi a. Li kareman pa posib pou lalwa menm peyi sa a kontinye fèmen je l sou yon reyalite enpòtan konsa. Moun sa yo, Ayisyen sa yo, dyaspora sa yo pa reyèlman senkyèm kolòn.

An reyalite, nou pa ka janm di jamè jamè pou anyen nan lavi sa a sitou bò lakay pa nou. Eksperyans montre nou ke nenpòt kalite bagay ka pase nenpòt ki lè. Li byen posib yon bon jou gen kèk reyalite espeyal pou enterè espesyal nasyon an, ak tout sitwayen k ap viv ladan l yo ansanm ak tout pitit li yo ki toupatou sou planèt la ki ta fè ke yon lwa konsa rive rantre an aplikasyon ak tout valè l. E menm lè sa a tou, fòk se ta yon bagay ki fèt kòmsadwatèt, san fo kout zo, san tou nan manch. Pa ekzanp, fòk yo ta mete sijè a devan tribinal pèp la, bay chak sitwayen chans li san presyon, san magouy pou fè chwa l selon konprann li, selon konsyans li. Lè sa a, l ap klè pou tout moun kèlkeswa bò rezilta a ta sòti a, pyès gwoup moun p ap pèdi diyite l nan pwosès la. Enpitou, p ap gen okenn remò.

Jean Dany Joachim ap viv nan vil Cambridge Massachusetts.

Li travay nan Bunker Hill community College.

Misye ekri pwezi, istwa, ak pyès teyat.

Li dirije yon pwogram prezantasyon lekti ki rele City Night Readings Series.

Partance


A la mémoire du journaliste-poète Jacques Roche

Pluie qui glisse
Dans mes cheveux
Parlant la 
langue des folles vagues
Pluie courbée sur l’âge du deuil
Penchée sur la
 blessure des lunes sauvages
L’espoir s’est suicidé dans mon sommeil
Moitié homme moitié songe
Et la 
nuit en minuscule
S’arrête et continue
A l’autre regard de mes doigts
Où tous les 
chimères de Port-au-prince
Portent 
toutes les douleurs de la ville
Pluie qui pleure à mi-chemin
Penchée sur la blessure des lunes sauvages
Quel 
vent de liberté dans l’au-revoir du poète
Quel
 rire amer au souffle de l’absence
Pluie sang temps boue
Ni trompe l’oeil
Cassée sur la blessure
Des lunes sauvages
Faisant l’amour avec la puanteur des égouts
Où s’énervent 
sous mes yeux
Des morts égorgés d’eau

 

                                                               Fred Edson Lafortune

An n al lazil: Yon senfoni lanmou


Yon tèks ki koule san bwete
tankou gout lapli sou kalbas
Se yon deklarasyon jouk nan bout
Yon tèks dekouvèt
Yon tèks vwayaj
ki pran men lektè yo
pou fè yo dekouvri mèvèy zòn lazil
Yon tèks souvni
Souvni tan ki pase
Souvni tradisyon ki pa dwe pèdi
Souvi danfans ak rèv
melanje ak lespwa…
An n al lazil se yon tèks elastik
ki ka li lanvè landwat
anba monte, tounen desann
san kadans powetik liv la pa pèdi
Se yon chedèv liv
ki fè ochan pou pwezi ak
lang kreyòl peyi dAyiti a
mwen konseye tout moun prese chache kopi pa yo…
                                                   
                                                                            Jean Dany Joachim

An n al Lazil: Yon liv tout moun dwe li


Page de couvertureAn n al Lazil, se tit yon liv pwezi ki ekri pa Fred Edson Lafortune. Liv sa a pibliye nan Trilingual Press nan peyi Etazini. Se yon powèm-flèv ki genyen 112 paj. Se powèt Pierre Richard Narcisse ki fè prefas la.

Tout moun k’ap fè pwomosyon oubyen k’ap defann lang kreyòl Ayisyen an ap renmen goute liv sa a. Tout moun ki renmen pwezi ap pran plezi pou li liv sa a. Nou li l plis pase twa fwa deja, men sanble plis nou li l, plis nou gen apeti pou n li l ankò. Etandone richès liv la, nou chwazi pale de kèk aspè ki kapte atansyon nou kòm lektè.

An n al Lazil se yon bèl travay sou lang kreyòl la. Powèt la konn kijan pou l makònen epi marye mo yo ansanm pou fè yo pran fòm tankou li t’ap fè yon eskilti. Nan An n al Lazil, mo yo gen nanm, yo gen vi, yo danse yanvalou, rada, petwo, nago ak konpa manba. Mo yo pran tout kalite fòm, tout kalite koulè tankou powèt la se yon atis pent. Mo yo danse nan yon melodi yo menm ankò kreye:

« depi m pa tande vwa w

tout rèv senyen kou tifi yo vyole

nan foli fè laplanch

mwen pran kò w pou lanmè

yon ti kanal pou bato kè m » (paj 95)

Nan An n al Lazil, mo yo kouri, yo pyafe, yo vòltije, yo pale, yo depale, yo jwe jon, yo jwe vyolon nan yon mizik ki karese zòrèy nenpòt moun k’ap tande oubyen k’ap li:

« si w al avè m cheri

ma pran cheve w pou dra blan

lè vwazinay pa la » (paj 31)

Yon envitasyon ki gen plizyè fòm ak dimansyon

An n al Lazil, se yon envitasyon powèt la fè yon moun ke li renmen pou al dekouvri Lazil, kote souvni danfans li kache, kote l sere sekrè foli l. Liv la kòmanse avèk yon mank, yon absans. Kòmsi moun powèt la ap envite pou fè vwayaj la pa la:

« tout batan pòt fèmen sou douvanjou

depi lè w pati

yon gwo pwela pandje sou fenèt mwen

isit pa gen solèy

pa gen bonjou

isit pa gen lanmou

pa gen je dou

chak fwa lannuit pwente

mwen panse avè w… » (paj 13)

Lè nou chache fouye dekòtike liv la, nou jwenn imaj ki epapiye, ki simaye toupatou. Imaj ki tradui absans oubyen nostalji powèt la genyen pou lakay li, peyi danfans li. Absans yon peyi. Absans yon kilti:

« isit pa gen djondjon

pa gen chanmchanm

isit pa gen bwapen

pa gen sakpay

tout batan pòt s’on tren ki pa kanpe

yon bil ki pa peye… » (paj 14)

Yon envitasyon pou rebwaze yon peyi k’ap depafini. Yon envitasyon pou mete fen ak lamizè:

« … n’a plante pye bwa

pou n rebwaze mòn makwaf

n’a rara tè

ede peyizan yo plante ankò » (paj 90)

Lè nou li pi lwen toujou nan liv la, nou jwenn plizyè vwa, plizyè antite, fò w ta di powèt la se doub li, oubyen pwòp tèt li, l’ap envite pou fè vwayaj la:

« mwen ak doub mwen

s’on ti zile

se rès yon kontinan k’ap gagari lanmè » (paj 14)

« … lakay pa janm kite m

se la mwen ak doub mwen soti

se la mwen ak doub mwen rete » (paj 15)

Pafwa, envitasyon an lanse ak yon antite k’ap viv nan yon lòt monn. Nan yon lòt espas-tan. Nan yon lòt dimansyon:

« Nan mitan espas

ki separe m avè w

w’ap vwayaje nan yon tinèl limyè

yon mouchwa blan an bandoulyè

w’ap jwe ak silans lannuit

kote vwa k’ap fredonnen chante lanmou

s’on lòt monn moun pa ka wè » (paj 60)

Pafwa nou gen lenpresyon ke moun sa a oubyen antite sa a powèt la ap envite a pa ekziste ankò:

« non w vòltije pasipala

tanbou frape nan bitasyon

yon flè pouse nan demanbre

ou ale sanzatann

mò sibit

o! lanmò kite yon ma dlo

sou popyè lavi

o! tout ma dlo sou popyè

se lizyè ki separe lanmò ak lavi » (paj 60)

Yon liv ki gen plizyè tèm

Gen plizyè tèm ki parèt nan An n al Lazil, men tèm prensipal yo se: vwayaj, mank, separasyon, espas-tan, lanmò ak lanmou. Se tèm sa yo ak yon pakèt lòt ki fè bèlte ak richès liv la. An n al Lazil montre kapasite lang kreyòl la genyen pou fè yon pwezi ki solid, san tonbe nan voye monte, fasilite, popilis ak fòlkloris. Se fason powèt la ajanse mo yo ki fè fòs liv la. Pa gen yon ti detay nan lanati ki gen chans chape anba plim Fred Lafortune, soti nan ti fomi fou sou fèy bwa rive jouk nan kochma linivè:

« m’ap kouri san kalson

yon eklips pandje nan kou m

lè kò nou fè nofraj

nan transpò foli lavi » (paj 42)

Tan an se yon tèm ki parèt plizyè fwa nan liv la. Se sa ki fè liv la gen yon dimansyon filozofik. Metafizik:

« kisa ki la ki pa nan yon espas ak yon tan ?

Kisa ki pa la ki la » (paj 32)

« tout tan fini nan enfini yon lòt tan

non

tan an pa ni fini ni enfini

non

pa gen tan ki pa letènite » (paj 73)

Yon powèt mistik

Fred Edson Lafortune se yon powèt espirityèl. Mistik. Li melanje foli, rèv ak reyalite. Se sa ki fè An n al Lazil se yon liv ki gen plizyè dimansyon. Toupatou nan liv la, nou jwenn plizyè estwòf ki sanble ak yon envokasyon, yon transandans, yon dedoubleman, yon fòmil majik, yon lapriyè:

« sèt ponyen pwav

yon nich gèp

twa wa

twa dam

twa vyèj dou » (paj 33)

« Twa zanj femèl

sèt chakra

yon piramid

yon boul je » (paj 98)

Pafwa, sans mistik la parèt sou lòt fòm, fòk ou chache, fouye, pou rive konprann sa powèt la vle di:

« a! Sekrè ma dlo s’on tabliye

fèy akasya lonbray rèv lòm » (paj 63)

Yon powèt inivèsèl

Powèt la pran tout sa li jwenn nan la nati, li ba yo fòm, li ede yo chak jwe yon patisyon pou ede lang kreyòl la taye banda, fè bòzò, fè chelbè tankou yon demwazèl ki pral marye. An n al Lazil gen yon pouvwa ipnotik. Li transpòte tout moun k’ap li powèm yo Lazil. Menm moun ki pa janm al Lazil gen chans pou yo ale. Ou mèt chita sou yon dodin lakay ou, ou ka gen tan rive Lazil je klè pandan w’ap feyte Liv la. An n al Lazil gen yon dimansyon inivèsèl. Pafwa, powèt la mennen w nan lòt peyi, nan lòt kilti:

« … lè tout matadò kite korida

kite koridò » (paj 92)

Nan An n al Lazil, inivèsalite a parèt sou plizyè fòm:

« lemonn s’on majigridi

sèt milya kretyen vivan

sèt milya djòl gran louvri…» (paj 61)

An n al Lazil soti anba plim Fred Lafortune, men ou ta di se vwa tout moun, se vwa tout pèp k’ap pale ladann pou eksprime santiman yo. Santiman revolisyon k’ap dòmi depi yon bon bout tan, ki kase chenn baryè silans. Santiman lanmou, nostalji, foli ki marinen ak aspirasyon tout moun ki koupe fache ak rasin zantray:

« a! Tout kote nan powèm nan

lazil se gout san pèp aprè revolisyon » (paj 54)

An n al Lazil pote souvni tan lontan ak avanyè. Lè w’ap li liv la, w’ap sonje yon moman, yon bagay byen espesyal ki t’ap dewoule pandan ou te yon kote an Ayiti ap fè yon bagay byen espesyal, menm si se yon istwa ki te kòmanse fennen nan memwa w. Nou savoure An n al Lazil avèk apeti tankou yon bon moso griyo ki fri nan yon chodyè sou twa wòch dife. An n al Lazil fè nou santi n chita bò yon plaj, anba yon solèy twopical ap tande mizik twoubadou pandan n’ap manje lanbi, bwè dlo kokoye. An n al Lazil fè nou tande zwazo k’ap chante nan maten douvanjou. Li fè nou tande vwa timoun k’ap benyen, tire lobe nan larivyè, fè lago nan lalin klè, tire kont anba tonèl pay kokoye.

Yon liv tout moun dwe li

An n al Lazil s’on bèl travay sou lang kreyòl la. Se yon kokennchenn fèt imaj, estilistik ak estetik. Pa gen pyès imaj ki gratis nan liv la. Pafwa, powèt la itilize aliterasyon oubyen asonans kòm imaj pou l jwe ak son mo yo:

« gen tan ki tante kite tan… » (paj 45)

Pafwa tou, pou l jwe ak mo yo, li itilize antanaklaz ki se itilizasyon menm mo a nan 2 sans diferan:

« … mwen panse avè w

jan m panse maleng nan pye m » (paj 53)

Chak “panse” sa yo gen yon sans diferan. Nou jwenn anpil lòt vè kote powèt la itilize menm imaj sa a:

« tande valè kout vaksin

k’ap tann wòb ou tann bò rivyè » (paj 21)

Chak “tann” sa yo tou gen yon sans diferan. Premye “tann” nan gen sans tan k’ap pase. Alòske dezyèm “tann” nan gen sans rad ki tann.

Pou latriye ak kantite imaj k’ap fè bèbèl nan liv sa a, pou n ta kontinye analiz nou, se yon lòt liv pou n ta ekri. Fred Lafortune kite wout la tou louvri pou tout moun, tout lektè, tout kritik ki ta renmen ale Lazil, al eksplore yon monn ektraòdinè ke sèl foli, lanmou, ak pwezi ka fè w viv. Ann al Lazil, se yon pwezi ki alamòd. Modèn. Se pa yon liv ou ka li trapde, brid sou kou, detan twamouvman, tankou yon chen fou. Se yon liv pou pran tan pou degiste, pou dijere tankou yon dous makòs, yon kowosòl, yon doukounou, yon dous kokoye, yon bonbon siwo, yon konparèt…

Nou ankouraje tout moun pou li An n al Lazil. Se yon liv tout timoun lekòl, etidyan, pwofesè ak moun k’ap fè rechèch sou lang kreyòl Ayisyen an dwe li. Se yon liv ki ta dwe rantre nan pogram, kou ak etid literati an Ayiti.

Nou felisite powèt la pou talan l, epi nou ankouraje l pou l kontinye ekri. Fèt la poko fini. Tout mizik ak divètisman toujou la, an n al Lazil.

Meritès Abelard

Pwofesè nan Johnson and Wales University

Rhode Island (USA)

Prezantasyon liv An n al Lazil de Fred Edson Lafortune


Otè Fred Edson Lafortune louvwi nouvo liv powèm li a, An n al Lazil, avèk yon ti konfidans ki di limenm ak pwezi te fè konesans depi tan lontan, e li makonnen avèk li « yon lanmou ki te anvayi lespri m depi lè m te tou piti ». Pi devan li di w sa l panse de pwezi pa l :

« Pou mwen, pwezi s’on kalfou kote monn lan rankontre ak tout sivilizasyon. Pwezi ka fòme, defòme, transfòme epi bay sans ak monn lan. Chak powèm s’on monn nan li menm. Yon espas pou nou chache konprann tèt nou, epi rapò ke nou genyen ak tout sa ki antoure nou. »

Otè a kontinye pou l di :

« Chak fwa m’ap pale de pwezi, mwen toujou pale de manman m. Se li menm ki, depi m te tou piti, te kòmanse antre m nan foli mo yo. Dousè yo. Doulè yo. Li te fè m aprann yon bann powèm pou m te resite nan legliz. Se grasavèk li ke mwen te kòmanse renmen pwezi. »

Avrèdi se pa chak jou ou jwenn yon powèt ki di w pami tout liv li li « liv ki tache nan souvni m se Bib la ». Epi l site Efezyen, vèsè 1-4, yon vèsè ki mande pou timoun yo : « Timoun, se devwa nou tankou moun ki kwè nan Seyè a pou nou obeyi papa nou ak manman nou, paske sa se yon bagay ki dwat devan Bondye / Respekte papa ou ak manman ou. »

Men, touswit nan paragraf aprè a, li avèti w sou asanblay powèm yo, yon melanj toksik :

« Powèm mwen yo melanje foli, rèv ak reyalite. Se yon konplisite ant mizik, dans, espastan, pwoblèm ekzistansyèl ak bagay espirityèl. Mwen itilize yon tèm tankou lanmou kòm metafò. Yon imaj. Se yon espas kote tout sa ki la pa la. Oubyen tout sa ki pa la pa la. Yon sòt de anyen ki pa anyen. »

Powèm yo tou pa senp, kouwè lè n pale de yon bagay kou yon mistè nou pa ka entegre byen nan lide n :

tout batan pòt fèmen sou douvanjou
depi lè w pati
yon gwo pwela pandje sou fenèt mwen
isit pa gen solèy
pa gen bonjou
isit pa gen lanmou
pa gen je dou
chak fwa lannuit pwente
mwen panse avè w
tout bagay te fini yon lè konsa
lè lavi pase trepase tankou rad mal pase

Se donk yon istwa damou, yon long istwa damou. Men li presize pou l di n, lanmou pa l la se « tankou lanmou kòm metafò. Yon imaj. Se yon espas kote tout sa ki la pa la. Oubyen tout sa ki pa la pa la. Yon sòt de anyen ki pa anyen. »

Kou nou konnen, lanmou toujou melanje ak desepsyon, desatisfaksyon, ti gou anmè nan bouch. Li mande cheri li pou yo fè yon bagay ak sa :

an n al lazil cheri
an n al gade plezi lavi
an n al gade kantite rèv k’ap mi sou pye
arebò galèt rivyè sèpan (…)

an n al lazil cheri
n’a monte mòn oko
n’a kase fèy kouvri malè
n’a tire lobe
n’a wouke zanj nan dlo
n’a trase vèvè
n’a danse marinèt
n’a vole lougawou
n’a mare lapli nan pwent jipon
pou nou ka pran lannuit daso

Sepandan, li pa pran lontan pou lanfannkè a ki t’ap ekzòte obeyisans pou Papa Bondye vin pran chimen malediksyon :

an n al lazil cheri
yon bann rara fèk pran lari
de kout fwèt kach
yon vè kleren
majòjon danse an rabòday
tout fòm tan an abite nan men l…

Lè w li Fred Edson Lafortune, li pouse w devlope yon lanmou pou jwe avèk lang kreyòl la. Bèl imaj li anplwaye yo oubyen li fè reviv nan liv la fè w admire richès lang lan, kou nou ka wè nan vè sila yo :

chak fwa loray gonde
nou pale an daki
lang zèklè ak lakansyèl
chak fwa lapli tonbe
nou gen foli bwouya
foli goutyè sou do tòl
foli krapo nan kanari
boul je toufe nan marekay

Nan tou dènye paj koleksyon powèm lan, otè a kontinye vwayaj nan sansasyon ak eksperyans lanmou an, lanmou pou lavi, lanmou pou manman l, lanmou pou madanm li, Joanne, men kou nou wè nan tout rès liv la, li ekri li, li transkri l nan mond fizik la ak yon pwezi ki koule kou lwil sou po fèy bannann :

mwen bliye kè m bò kot joanne
tout flè lazil fè jalouzi
yon bann koulè nan galrida
yon bann penso sou wout lanmou
aplodisman jekwazandye
yon kout twonpèt plezi gaye
yon kòd gita san batistè
yon bann rara lakontantman

Jiska lafen powèm lan—paske liv la ekri kouwè yon long powèm —, e menmlè ou konnen Fred ak Joanne vin evantyèlman marye, li kenbe yon sispens, yon sans antisipasyon, yon pwezi entrensèk ki fè bèlte zèv la. Kouwè Jean Pierre Richard Narcisse di nan prefas la, pwezi Fred Edson Lafortune « se yon pwezi alafwa dekouvèt yon kilti, sa kilti sa a reprezante pou li, ki konotasyon k’ap bouyi anndan l, e tranplen vè yon lòt bagay, vè lòt reyalite…».

Liv sila a se yon moniman nan pwezi kreyòl ayisyen, yon rekèy pwezi alafwa klasik e avangad.

—Tontongi mas 2014